Inexistants en France il y a encore quelques années, les tags au Solid Marker ont depuis envahi les rues des métropoles européennes. Mais d’où vient cet outil de plus en plus populaire chez les tagueurs ? Bien avant l’invention de la bombe de peinture et l’explosion du graffiti sur le métro de New York à la fin des années 60, c’est en 1924 que Sakura invente et brevète la craie grasse, un pastel solide combinant huile et pigments. Dès les années 30, les vagabonds et les travailleurs saisonniers américains avaient pris l’habitude de laisser une trace de leur passage sur les trains de marchandise. Le meanstreak est devenu leur outil de prédilection.

Durant la crise économique des années 30, de nombreuses personnes en quête d’un job parcourent l’Amérique du Nord en montant illégalement dans les wagons de fret pour se déplacer dans le pays. Un périple que les vagabonds du rail, surnommés hoboes, ponctuent de leurs signatures et de pictogrammes appelés monikers, histoire de tuer le temps. Ainsi en 2016, Susan Phillips, une anthropologue américaine spécialiste du graffiti, découvre sous un pont de Los Angeles une série de graffitis datant du début du 20ème siècle.

Les inscriptions trouvées par Phillips ont été dessinées par Oakland Red, Tucson Kid et A-No.1. Ce dernier est le surnom de Leon Ray Livingston, King of the Hoboes. Autodidacte, Livingston est l’auteur d’une douzaine de livres sur le mode de vie hobo.

J’ai commencé par nécessité et j’ai continué parce que j’aimais le mode de vie. Je persiste parce que je ne sais rien faire d’autre.

En plus de leurs signatures stylisées, les hoboes laissaient aussi des informations codées sur les zones environnant les dépôts de fret : point d’eau accessible, renseignements sur la police et la population locale…

La légende prétend que certains hoboes, après la Seconde Guerre mondiale, se sont peut-être inspirés de l’énigmatique Kilroy Was Here, accompagné du dessin d’un petit bonhomme au gros nez jetant un œil par dessus un mur, qu’on pouvait trouver dans certaines zones inaccessibles du conflit.

En 1946, un concours lancé par le New York Times révèle que James J. Kilroy en serait l’auteur. Inspecteur de chantier naval, il avait pris l’habitude de marquer à la craie les navires en construction pour s’assurer qu’il les avait contrôlés, une origine probable qui explique en partie la propagation de ce graffiti mythique tracé à la craie grasse, souvent repris par les soldats américains en mission.

Après la Grande Dépression qui a touché les États-Unis dans les années 30, les vagabonds et les amateurs d’aventures adoptent le graffiti à la hobo, craies en poches. Résistant aux intempéries, d’un faible encombrement, les craies de marquage trouvent là de nombreux adeptes passionnés par la vie du rail. La compétition est rude, le terrain de jeu est vaste.

A l’instar du graffiti sur le métro de New York, les monikers se répandent sur l’intégralité du réseau de frets américain depuis près d’un siècle. Colossus of Roads, Bozo Texino, The Rambler, Smokin Joe, Herby et North Bank Fred font figure de légendes dans le milieu.

Au fil des années, cette pratique se répand même dans les rangs des employés des chemins de fer, dont certains se mettent eux aussi à placer leurs signatures à la craie grasse, un outil pratique qui fait partie de leur quotidien pendant les tournées d’inspection des wagons de frets.

Dans les années 90, Twist et Margaret Kilgallen entre autres, popularisent cette pratique auprès des graffeurs qui se mettent aussi à tracer leurs monikers.

Bernon Vernon alias Twist, 1998

Traditionnellement, les graffeurs qui peignent des pièces en couleurs sur les frets respectent les monikers et ne les repassent pas.

Parfois abimés par le temps, certains monikers sont même parfois restaurés par des passionnés qui perpétuent la légende.

Margaret Kilgallen restaure un Herby tracé en 1976

Au fil des années, l’utilisation de la craie grasse sort des frontières américaines et se répand dans l’univers du graffiti. Il faut dire que cet outil technique offre de nombreux avantages.

Bien qu’existant dans plusieurs marques – le Permanent Stick K-80 de Krink par exemple – le Solid Marker de Sakura reste le modèle le plus populaire et le plus répandu. il permet de marquer absolument tous les supports, béton, bois, métal… et même d’écrire sous l’eau ! Son système de rotation rétractable inspiré du rouge à lèvres permet désormais de ne pas se tâcher, un atout non négligeable pour les tagueurs de tous horizons.

Pour résumer, ça c’est l’usage officiel donc :

Et ça, c’est l’usage officieux :

Sakura propose sa craie grasse en trois versions : le Solid Marker classique, le Solid Marker Slim, plus fin, et enfin le Solid Marker phosphorescent, qui coûte une blinde mais permet d’être vu la nuit.

Mais ce n’est pas tout : pour les bricoleurs, il est aussi possible d’obtenir une craie multicolore.

Il suffit pour cela de sortir plusieurs craies grasses de différentes couleurs de leur tube d’origine. Après les avoir dévissées, il faut ensuite les couper sur toute la longueur. Il ne reste plus qu’à recomposer une craie entière avant de les revisser… avec des gants.

Les marqueurs en action :