Je suis tombé dedans assez jeune, en 1998 avec l’arrivée des premiers magazines de Graffiti. A l’époque pour aller au collège, il fallait que je traverse un terrain vague rempli de fresques, de lettrages de fous, des persos, des styles incroyables. C’était le terrain de Baille, à deux pas de la station de métro du même nom.

C’était le terrain des 132 et des OTR qui y peignent souvent et organisent des barbecues. En vingt ans, il y a eu plusieurs périodes, des hauts, des bas, de longues et regrettées pauses pour finir par un retour définitif… Désormais, je ne lâche plus, j’ai perdu trop de temps.

#1 Les débuts

1998, grosse claque visuelle. Je mange régulièrement des pièces de Just PM, de Maniac et des GM et de bien d’autres dans ce fameux terrain de Baille. J’y passe très vite tout mon temps libre avec mes potes de l’époque. On se met a dessiner, à chercher un blaze et on forme le crew DPC (Des Petits Cons), qui se nommait DP avant. Une équipe formée par Tony alias Tsar, Lascar et Marcus (R.I.P.). A l’époque, il n’y a qu’un seul shop : Comasound Cartel, tenu par le fameux Chey.N C4. C’est le rendez-vous de tous les peintres de l’époque, très bonne ambiance entre les jeunes et les moins jeunes, ça part souvent de là le samedi midi pour aller peindre soit à Baille soit à la Corderie ou à la Capelette dans un terrain légendaire. Une vrai ville désaffectée. C’est énorme, une ancienne usine d’huile d’olive. Beaucoup de gars viennent y faire des fresques,  on en prend plein les yeux tous les week-ends. Un jour, en arrivant on a vu des tractopelles et des gars avec des masques, ils nous ont annoncé que l’endroit allait être détruit en raison d’une grosse présence d’amiante. Plutôt pas très rassurant, sachant qu’on y a passé énormément de temps.

Niveau style, ce qui m’a plu au début, c’est le wildstyle, bien aiguisé, avec des flèches, des grosses 3D et les pièces des gars comme Acuz, Rish, Phaze, Just, Bonar, Swick, Raze, Fresque… Je dessine beaucoup. Vers 2000/2001, je peins quelques murs en terrain avec mon crew sans jamais être content de mes prods. Mais je persiste. Sur cette photo, qui a été prise à Baille en 1999, j’ai 14 ans.

#2 La reprise

Vers 2005/2006, je mets un peu le Graffiti de côté tout en continuant à dessiner et à observer l’évolution dans la rue pour privilégier la fête, les soirées, les teufs… Erreur fatale ! Perte de temps énorme, ça ne se rattrape pas, ou presque. Vers 2012, je m’y remets doucement. Je reprends goût à la peinture, je rencontre les gars du crew PM, Rish, Oniks, Just, mes idoles de jeunesse lors d’un jam organisé dans le bowl de Marseille. Le courant passe et Rish me propose d’intégrer le crew en 2013, j’en revenais pas.

#3 La rencontre du siècle

Tout va changer avec la rencontre du siècle. Je fais la connaissance de Tchad qui intégrera crew DPC peu de temps après. On commence à faire quelques murs ensemble et rapidement le courant passe. Il devient mon frère d’une autre mère, il me coache sur tout, le style, le calibrage, les combos de couleurs, les effets, les techniques… Il y aura un avant et un après cette rencontre.  Enfin, je commence à apprécier petit a petit ce que je fais et il y est pour beaucoup. On enchaine presque deux ans de peinture chaque week-end ensemble. Il me met le pied à l’étrier pour faire du vandal et j’accroche rapidement. Je kiffe croiser mes pièces, mes perches dans Marseille et je veux en faire de plus en plus. Le vrai jeu commence enfin.

#4 Au Pérou avec Tchad

En 2015, je vois sur Facebook et Instagram que les inscriptions sont ouvertes pour le Meeting Of Styles au Pérou. Qui ne tente rien, n’a rien et sans rien dire à Tchad, j’envoie par mail des photos de quelques unes de nos pièces, sans vraiment y croire sachant que seulement deux européens seront retenus. Quelque semaines plus tard, la page officiel du MOS Pérou publie la liste des gars sélectionnés et là c’est l’hallu ! Boom, il y a Mist et Tchad dans la liste. Du coup, on s’envole pour le Pérou. Lima, quel choc. La pauvreté est partout, la ville entière ne semble pas finie. On nous explique par la suite que temps que tu ne finis pas de construire, tu ne paies pas d’impôts. C’est un carnage sans nom, mais c est le grand kiff pour le marseillais que je suis.

Le premier jour, on arrive au festival situé à l’entrée de la plus grande favela de Lima. Seul petit souci, les gars de l’orga nous filent la place à l’entrée, sur le stade de foot bien ghetto. Juste un peu plus tôt, des graffeurs se sont fait braquer leur caméra, leur téléphone et leur argent par des gars de cette favela armés d’un gun et d’un taser.

Mais, tout se passe bien. On devient pote avec les locaux et on passe un moment unique qui nous marque à vie. Les locaux ont apprécié notre pièce en commun qui n’a pas le style local. On a pris et ils ont pris la claque, bon échange culturel à tout point de vue. Le niveau était vraiment élevé, il y avait de vrais artistes, des gars qui peignent avec des perches faites maison en bambou ou avec des manches à balai scotchés. Le résultat est incroyable avec le peu de moyens qu’ils ont. Big respect à ces mecs de l’ombre. Big up à Dares et Claos du CAPS crew. J’ai pris cette photo après avoir fini de peindre, on avait peur que les microbes viennent ramasser des sprays pour tout saloper, mais le lendemain rien n’avait été touché.

#5 La place à prendre

Ce qui a changé pas mal de choses par la suite, c’est l’entrée dans le crew de Knock qui va vite devenir mon binôme attitré. Il débarque avec une détermination sans nom, ultra motivé, limite un peu fou, fort potentiel. Mais il va falloir gérer l’animal. Du coup double effet, il me motive un max et moi je calme sa folie vu qu il a 18 ans et moi 30. Il y a aussi l’arrivée de Keo et d’un autre gars très important, mais qui aime rester très discret. Ils vont faire évoluer le truc vers le vandale avec l’utilisation des perches : à l’endroit, à l’envers, les doubles, les triples… Je comprends vite l’efficacité de cette arme. On peut aller au dessus de pas mal de monde et il y a moyen de faire du fat vite et bien. Vu que je suis peintre en bâtiment, c’est pas bien compliqué, le matos m’est familier. La connexion DPC PTO est en marche.

Ce toit a son histoire et elle est pas toujours très sympa à entendre, c’est pour ça qu’avant d’y peindre je me suis posé pas mal de questions. On a tous pensé un jour à cette place. Au début des années 2000, le Vandal Groove met la pression. Se mettre au dessus serait dingue. Le mauvais côté de ce spot, c’est qu un gars s’est tué quelque années avant, un autre en est tombé. il a survécu, mais il a pris très cher. Un toit en tôle ondulées très fragilisées par le soleil qui peut craquer à tout moment. Il faut donc marcher sans faute là où les plaques sont vissées sur la poutre pour être sur d’être soutenu par cette dernière. Jamais deux personnes sur la même plaque, sinon c’est le drame. Avec Keo et Locker, on est monté de jour pour repérer le spot et effectivement c’était bouillant mais la place est à portée de main. On décide donc de revenir trois jours plus tard pour le faire. On a passé la nuit à marcher doucement, à tout bien checker.

On passe en voiture par la passerelle pour rentrer, on se prend une claque, des années à passer par là sans que rien ne bouge et là on a enfin posé cette perche avec cinq couleurs au-dessus du Vandal Groove mythique…

#6  Premier train

Le roulant, à la base c’est pas quelque chose qui m’accroche vraiment. Un gars du crew commence à me motiver. Je me chauffe sans même savoir ce qu’on va faire. Donc pour mon premier train, je pars en voiture avec ce pote, Knock et Cado pour faire un whole car. Je ne me rends pas compte du tout de ce qu’on s’apprête à faire. On arrive, l’inox est là bien placé. Go, on sort les rouleaux et les perches. On attaque, on peint une bonne heure.

Le lendemain, il m’explique que c’est possible de le voir en circulation.Je ne le crois pas vraiment vu que je n’en ai jamais vu en trente ans. Donc, on se pointe et on piste l’arrivée des inox en provenance de Miramas. On attend un bon moment, perso je n’y crois pas une seule seconde mais ça fait passer le temps. Au bout d’un moment, on est à la limite de partir quand à 17h32 on voit de loin du bleu et du jaune… Il arrive ! Incroyable, il rentre en station, tout le monde sort son téléphone et filme, le wagon est condamné, étiquettes rouges sur les portes. Là c’est le drame, je deviens addict en deux secondes, une sensation indescriptible, l’implosion.

C’est bon j’ai trouvé, je ne veux faire plus que ça.

#7 Métro à domicile

Rapidement nous vient l’idée à Knock et moi de peindre notre joli métro. On s’est renseigné et on comprend vite que c’est plus compliqué, que c’est un vrai travail de pistage. Surtout ce qu’on veut tous les deux, c’est le faire par nous-même sans que personne ne nous y amène. On va donc à Bougainville des jours durant, à toute heure du jour et de la nuit. On piste, on note tout les allées et venues. On capte un créneau de vingt minutes. Après deux échecs, ça finit par rentrer. La folie, sensation encore plus intense, on finit devant les chauffeurs qui arrivent mais voyant la gazeuse de police, ils ont plus l’air très motivé.

Pour l’anecdote de la gazeuse, peu de temps avant de peindre le premier métro j’ai regardé en boucle la vidéo de See MPV dans laquelle il mène une équipe peindre en station. Du début à la fin, il peint avec une gazeuse en main, cette image m’avait marqué, je voulais faire pareil, vivre ce genre de sensation.

#8 Direction la capitale

On comprend vite qu’il est important de voyager, de rencontrer du monde et d’échanger dans ce milieu qui est totalement nouveau pour moi. Peu de temps après avoir peint notre métro on décide de monter à Paris pour essayer de peindre le mythique métro bleu et vert. On monte rejoindre Feto des T96 et Erso des WARZ qui devient un bon poto par la suite.

On prend un hôtel des plus miteux, une chambre de trois dans laquelle on s’entasse à quatre avec des dizaines de canettes et d’affaires. Tout se passe bien, on peint le premier métro sur un spot touristique. Nickel ! Puis un deuxième, ailleurs en tunnel. Avec Feto, on galère à dessouder une plaque en métal, on décide de garder ça pour la fin, ça avait l’air d’être un bon plan. Erso nous dit qu’il y a peint sans encombre, donc on est tous chaud pour finir en beauté.

Entre temps on rencontre trois espagnols sympas et on décide d’y aller tous ensemble. On descend dans cette trappe puis dans le dépôt à sept. On commence à peindre. Tout à coup, on entend le double Boom de la trappe qui se referme. On sait qu’on ne peut pas ressortir, impossible à ouvrir de l’intérieur. On se cache sous la trappe entre les voies. Toute cette histoire ne sent pas très bon.

On entend la sécu et le chien faire des aller-retours pendant une heure environ. C’est interminable et très inconfortable. On commence à se dire qu’ils ne vont pas nous voir et qu’ils vont finir par partir, mais c’est sans compter sur un des espagnols qui avait mal caché son sac. La meuf de la sécu, une vieille alcoolique du Nord avec une voix de pilier de bar, commence à crier :  » ils sont là, les enculés ! Appelez les GP,  il y a flag’ avec les bombes, avec les caméras, on les a niqués. C’est une grosse prise ! « .

On sort de notre trou, menottés dans le dépôt. Les keufs arrivent juste avant les GPSR, du coup on a un peu de chance dans notre malheur. La suite est classique : GAV, train raté, chambre d’hôtel pas rendu à temps… Voilà, voilà. On comprend vite les règles de ce délire.

Juste après, on va en Belgique, en Allemagne, en Roumanie, au Portugal et en Espagne en quête de nouvelles aventures.

#9 Chat perché

La connexion avec les crew PTO et WARZ s’est faite naturellement. On est tous potes, on s’entend tous très.  La perche reste l’arme ultime, trop de possibilités, des places accessibles inimaginables.On fait quelques pièces ensemble à la perche, on privilégie le crew , on passe après. Si il y a le temps ou la place, mais s’il y a une place, ce sera toujours pour un crew et pas pour un blase. Donc on fait pas mal de pièces double crew voire triple crew.

#10 Serrage à l’espagnole

Un soir, avec des espagnols rencontrés à Marseille, on prévoit de peindre dans un hangar. Mais vu que les espagnols ont un peu trop forcé sur la sieste, une fois dans le tunnel il est trop tard et on décide finalement d’aller peindre une voix de garage un peu moins loin. On arrive sur le spot, j’ai un pressentiment bizarre. On a trop changé le plan, ça semble bien moins sûr, il y a pas mal de bruits… Le tunnel s’éteint pendant qu’on peint, c’est mauvais signe en général…

Au bout de dix minutes, on décide d’y aller, il se fait tard et la circulation va bientôt reprendre. Dans la précipitation, on décide de ressortir par une station, on monte sur le quai puis on prend la sortie de secours. On monte les sept étages très très vite. J’enlève ma carte SD juste avant de sortir. La trappe s’ouvre, on sort. Du coin de l’œil je vois des gilets orange. Je comprends de suite, je cours mais j’ai plus de jus dans les jambes. Au bout de dix mètres, je me prends un chassé dans le dos. Je tombe, au même moment je mets ma carte dans la bouche une seconde avant d’être menotté, tête contre le sol avec trois gars de la sécu sur moi.

On est quatre. Ils n’ont serré que moi et une meuf qui s’est mangée une balayette du futur. Elle a littéralement décollé du sol. Knock et Nomo ont réussi à taper la fuite. Pour l’histoire, la police espagnole m’a volé mon S7.

#11 Go Big or Go Home

Ce wholetrain est une idée d’un gars du crew qui préfère rester discret. On se motive à monter une équipe avec deux voitures surchargées. Cette idée me semble folle mais on y va. On se prépare, on bouge a une dizaine, il y a quatre wagons donc quatre sacs, avec des perches, du rouleau… On attaque, ça se passe plutôt bien, on reste une heure environ et ça rentre. On va sur un parking plus loin pour attendre le lever du jour. Bonne claque, c’est bien fat. Après avoir joué au foot toute la nuit, on comprend pourquoi on a attendu.

#12 Wholetrain pour le Nouvel An

Le whole train sur métro à Barcelone pour le fêter le Nouvel An reste mon meilleur souvenir. Un rêve qui s’est réalisé. Depuis bientôt deux ans, je suis en couple avec une fille originaire de Barcelone. Elle est comme moi sur beaucoup de points. Elle a commencé à peindre quand je l’ai rencontrée. Elle s’intéresse beaucoup aux trains et métros, elle connaît tout les modèles, limite mieux que moi.

Elle m’a présenté quelque amis de Barcelone et des alentours comme Bufa, Jabato, Rec, Soke. A Marseille, on fait une connexion avec les BNS, Kowe, Caye et Nomo. Quelques mois avant la fin de l’année 2018, elle me dit qu’il y a un gros plan qui se prépare à Barcelone et que nous somme conviés à peindre tous ensemble. J’entends rapidement parlé d’un whole métro mais en toute franchise je n’y crois pas une seule seconde vu la légendaire réputation des espagnols qui mènent très peu de touristes sur leurs spots et encore moins sur ce genre de spot.

Finalement, ça se précise. A la base, on a deux wagons pour trois. On prévoit un double crew comme d’habitude, puis dans la voiture Jabato nous dit :  » finally, all we make one man bro. »

Très bonne nouvelle. Pas facile d’accès, c’est loin d’être du gâteau ou une promenade de santé. Une équipe de deux s’infiltre par la station tandis qu’une autre équipe de trois s’occupe de guetter et de prendre toute la peinture : quarante litres d’acrylique et plus de cinquante bombes Water based.

Après plus d’une heure, on finit par se rejoindre dans le dépôt. Je reconnais direct le spot sans y avoir mis les pieds. Les nettoyeurs nous grillent, entre peur et fascination. Ils finissent par nous dire qu’ils n’appelleront pas la sécu ni les keufs. On attaque, on peint plus d’une heure sans encombre. Au moment de sortir, l’ambiance change quand les espagnols dégainent un extincteur et une chaise comme bouclier, qu’ils commencent à crier. J’ouvre la porte et là… personne !

On bouge notre cul à la voiture garée assez loin puis on va vite déjeuner et attendre la circu qui promet. On comprend vite que les espagnols ne bougeront pas du spot sans circu et ça nous va aussi. Après plus de dix heures d’attente, il est enfin annoncé. Le prochain métro ne s’arrête pas en station, donc c’est celui la, c’est sur !

Bien évidemment, il passe alors que cela ne fait même pas une heure que je dors, ma femme, Asko stoppe le métro en se mettant sur les voies, pendant que Jabato filme et prend des photos. Il va ensuite filmer la circulation au ralenti quand le métro rentre au buff. Quelques jours plus tard un gars de chez TMB nous envoie les photos dans le buff, sûrement un fan discret… Bref, le genre d’action qui rentre pas tous les quatre matins. Les espagnols ont été à la hauteur de leur réputation. Un grand big up à Movis et Jabato OTP pour ce passage à la nouvelle année de dingue.

Après deux serrages on finit sur deux bons plans…

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