Depuis plus de vingt-cinq ans, impossible de passer à côté des lettrages de Choc sur TOUS les modèles de trains belges. Strike, Elvis, Fars, Virus, Well… qu’importe l’alias utilisé, avec plus de sept mille pièces à son actif, le vrai Roi des Belges, c’était lui ! La légende s’est envolée à la fin du mois d’Octobre 2018, à l’âge de 45 ans.

Pour évoquer son parcours, nous laissons la parole à son partner in crime et ami de toujours, Hulk.

A la sortie d’un dépôt que je viens de taper avec des copains de Liège, je rallume mon téléphone portable. Plusieurs appels en absence, sur Instagram on me demande de rappeler d’urgence en raison d’une mauvaise nouvelle. Il est 23h30 en ce jour de Halloween 2018, toute l’adrénaline de l’action vient de disparaitre. Je m’assieds, les copains comprennent qu’il se passe quelques chose de grave, j’explique… Silence. Je rentre et les larmes coulent dans la voiture.

J’ai rencontré George, alias Choc CNN, grâce à un ami commun en 1994, si j’ai bonne mémoire. Une amitié qui nous a conduit dans la plupart des dépôts de trains et métros européens, mais surtout belges. Un caractère pas toujours facile, surtout en ce qui concernait le graffiti. Pour un oui ou un non c’était la prise de tête assurée, que ce soit pour des photos publiées dans un magazine ou au sujet de la manière d’entrer dans un dépôt. Le Graffiti était sa raison de vivre, sa manière de vivre, plus que dans son sang, le Graffiti était George et George était le Graffiti. Mais George, c’était aussi et avant tout mon frère comme on s’appelait. Entre nous, pas de poignée de mains, mais l’accolade.

George, c’est celui avec lequel j’ai partagé plus de 80% de mes panels, trois Interrails, des milliers de kilomètres en Belgique, des centaines de nuits blanches, des coursades, des contrôles, des rires, beaucoup de rires, des stress, beaucoup de stress mais aussi des soirées chez lui à discuter de tout et de rien. Ses fameux cafés italiens me réveillaient le matin avant de rentrer chez moi après une nuit passée dans un dépôt. Tant de souvenirs qu’il mériterait un livre, non pas sur la quantité de ses graffs, proche des 7000 aux dernières nouvelles, mais sur l’ami qu’il était pour moi et les autres.

Humble, discret, sauf avec une bombe en main, avec des phrases que seul lui savait te sortir. Le cœur sur la main, une dégaine que tu reconnaissais de loin.

Moi : « Oh frangin, ça te dit une sortie en boite ?  »
George : « Oui, où ? »
Moi : « Tu sais la boite près d’où je travaille.  »
George : « Ouais, je vois, c’est cool là-bas, les filles sont belles. »
Moi : « Mortel, on fait ça. Écoute, si tu es chaud, je vais acheter deux chemises. Les mêmes, comme ça on est habillé de la même manière, OK ? »
George : « OK, on fait ça. Rendez-vous à la friterie de la gare à 20h. »
Moi: « Parfait, à samedi.  »

Voilà exactement le genre de conversation téléphonique que j’échangeais avec lui pour organiser une action. Tout était codé, mais bien rôdé, jamais on ne parlait graffiti lorsqu’on s’appelait. George était super prudent, souvent parano. Le samedi suivant on tapait deux panels avec les mêmes couleurs, même fond. C’était les chemises que j’avais achetées pour être habillés de la même manière.

Bien souvent, c’était lui qui retournait faire les photos de jour. Il me les envoyait ensuite avec une adresse mail totalement undercover. Au point que le premier mail que j’ai reçu, je n’ai pas osé l’ouvrir de peur que ce soit un virus. Prudent jusqu’au bout, c’est pour cela que je peignais avec lui, parce que j’avais une totale confiance.

Je pourrais raconter nos histoires qui ressemblent à des sketches, que ce soit une chute sur une plaque de verglas à la sortie d’un dépôt en France, avec un vol plané digne d’un cascadeur et son sac qui s’ouvre en éparpillant des bombes partout sur le parking, me valant un fou rire à en avoir mal au ventre et une crise de sa part : « arrête de te foutre de ma gueule Kehul, j’ai mal et j’ai perdu mes lunettes dans la neige. »

Maintenant George, c’est moi qui ai mal en écrivant. Sache-le là où tu es.

J’ai le sourire en repensant à cette rivière que l’on traversait en caleçon pour accéder à ce layup dans les Ardennes belges. Je me souviens aussi qu’après avoir dormi sur une plage à Rome, tu t’es réveillé avec le coup de soleil du siècle. Te voir secouer ta veste au dessus du bord de mer à Saint-Tropez et te rendre compte qu’il y avait les clés de la voiture de notre contact dedans, nous obligeant à attendre le premier train du matin pour rentrer à Nice chercher le double et perdre une soirée peinture. Se retrouver en cellule à Copenhague et se dire que plus jamais on ne peindra de train, car putain, on est des cons. Sortir le lendemain matin et recommencer le soir même. Manger à la maison et s’endormir dans mon canapé cinq minutes après être sorti de table… C’était lui, c’était nous, Choc et Hulk, dans le bon comme le mauvais.

George était devenu un point de contact pour tous les graffeurs de trains en Europe. Quand je recevais des étrangers chez moi et que je ne savais pas aller peindre avec eux, il était toujours prêt à les accueillir, même si son anglais n’était pas compréhensible, il arrivait malgré tout à se faire comprendre.

Depuis quelque temps, ma vie de famille ne me permet plus de peindre aussi régulièrement que durant nos meilleures années. Mais on continuait de se voir, de se sonner, je passais chez lui et je buvais un café en regardant par la fenêtre de son appartement les trains passer à la gare de Bruxelles-Nord.

Il venait chez moi, voir mon fils, on passait l’après-midi ensemble. Il parlait de son travail avec ma femme et me racontait qu’il ne peignait plus autant qu’avant car : « Kehul, faut pas croire, je ne fais plus qu’un panel par mois, voir deux, les nuits blanches, j’en ai marre, je récupère plus comme avant… »

Mais à l’ère d’Internet et des pages dédiées au graffiti, je voyais passer presque chaque lundi ses trains en trafic. Le George, il n’arrêtera jamais. Je n’aurais jamais cru que ce serait de cette manière que tu arrêterais. La seule chose qui me soulage, c’est que tu t’es envolé en fermant les yeux sans savoir, dans l’humilité qui te caractérisait.

Beaucoup de gens pourraient écrire une bio sur lui, raconter des histoires qui leur seraient propres, toute différentes, mais toutes avec des points communs. George était l’ami de beaucoup de gens d’horizons différents.

Sous sa vie secrète, George était un ébéniste hors pair, capable de réaliser de magnifiques meubles sur mesure, de peindre des tableaux et de faire des dessins à l’encre de chine. Parfois artiste, mais surtout graffeur.

Depuis 2010, je te répétais souvent quand on se voyait, que je ne voulais plus peindre qu’avec toi car tu étais une des seuls personnes avec laquelle j’allais dans un dépôt les yeux fermés. On comptais l’un sur l’autre pour surveiller, pas besoin de parler, juste un Tssss et quelques gestes suffisaient pour se comprendre. Une routine qui avait fait ses preuves de nombreuse fois. Dernièrement, on avait encore eu une prise de tête au sujet du graffiti, ce qui nous avait éloigné. Pourtant, je demandais de tes nouvelles à nos amis communs et je savais que tu faisais la même chose. J’étais content de savoir que tu allais bien, même si apparemment ta santé n’était pas aussi bonne que tu nous le laissais croire.

Comme à chaque fois après avoir joué au rancunier chacun dans notre coin, il me semblait évident qu’on allait à nouveau se rappeler pour organiser une sortie peinture et se retrouver à cette friterie où depuis des années, on mangeait un hamburger en regardant les photos de notre action. C’était devenu une tradition, on adorait ça. Ensuite, on buvait une bière, on rigolait, tu me racontais tes derniers graffs avant que je te dise : « A plus frangin. Sonne moi quand tu veux et n’oublie pas d’envoyer les photos de jour.  »

C’est fou le nombre de fois on l’on s’est quitté sur ces paroles. Jusqu’au bout tu m’auras cassé les couilles, comme tu le répétais si souvent, tu auras réussi à me faire pleurer mais cette fois pas de rire. Mes yeux coulent comme ce fameux panel en backjump sur le métro de Budapest ou comme cette nuit pluvieuse au dépôt de Schaerbeek.

George, j’espère que de là-haut tu as une belle vue sur les dépôts, parce qu’ici, ta mémoire est honorée par tous ceux qui te connaissaient, par tous ceux qui te respectaient, mais aussi par tous ceux qui t’aimaient.

Depuis la disparition de Choc, les trains belges ont subi une véritable avalanche de graffiti en son hommage. Pour perpétuer la légende, certains graffeurs reprennent son style inimitable dans leurs lettrages, dont le fameux S, sa marque de fabrique.

On ne compte plus les pièces en son honneur qui circulent actuellement.

Toute la scène est touchée par sa disparition, les graffeurs belges lui rendent aussi hommage sur mur.

C’est le graffeur avec la production la plus hallucinante et variée tous supports confondus, le plus sympa et surtout le plus humble que j’ai pu rencontrer. Ses productions font partie du paysage graffiti belge depuis des années et vue la quantité, pour des années encore…
-Ryck Wane

Le Roi est mort. Vive le Roi !