Glitch, effets radiants, couleurs psychédéliques… Non non, ce n’est pas une montée de LSD ! Dans ses lettrages issus de la Cinquième Dimension, Ernest Illm combine sa passion pour le graphisme, le graffiti et la musique électronique.

Immersion dans la Warp Zone avec le graffeur/geek.

Peux-tu te présenter ?

Je suis artiste, j’ai 29 ans et je vis à Montreuil.

Comment as-tu commencé ?

J’ai toujours aimé dessiner. En Dordogne, dans la ville d’où je viens, il y avait quelques tags qui trainait par ci par là. Ça m’intriguait énormément. Il y avait des noms que j’avais repérés : 2Fan TVA, Rocket, Vener, Masoner, un mec qui avait pour logotype une vache. J’achetais des magazines, je gribouillais des trucs. J’imitais ce que je voyais. J’avais onze ans, je dessinais juste sur des feuilles. Au même moment, sort Jet Set Radio, un jeu vidéo sur Dreamcast. J’y pensais tout le temps, j’étais hyper curieux de la sensation de peindre avec une bombe. Je suis allé avec un pote dans un garage désaffecté et j’ai reproduit un throwup de ce jeu vidéo avec une bombe de bricolage noire.

Quelques mois après, ma famille déménage à Bordeaux, j’étais en classe de cinquième. Et là, c’est le choc total, je n’avais jamais été confronté à autant d’interventions dans la rue. Avant, quand je croisais un tag ou deux, je me posais quelques questions, mais je ne me doutais pas qu’il y avait une vraie culture. J’ai capté que les mecs qui faisaient des fresques et des tags dans la rue étaient les mêmes. Je voyais ça comme une sorte de jeu secret fascinant avec des membres mystérieux. J’ai complètement lâché le skate, j’étais à fond.

Après avoir préparé mon premier sketch, je me suis procuré trois bombes. Un pote de ma classe m’a accompagné. Il n’avait pas envie de peindre mais juste de participer à l’aventure. Il surveillait le spot pendant que je peignais. Au moindre bruit, on flippait.

Très rapidement, après avoir fait trois ou quatre graffs, Bouh, un pote qui aimait dessiner autant que moi, m’a rejoint pour peindre. On s’est retrouvé tous les deux dans le game. C’était en 2002, on a fondé le crew PAL avec Naïf, Soka, Erone. Mon pote Boris m’a fait entrer ASV avec Disket et Lener. J’ai beaucoup trainé avec les ASM, les CV et les XMENS avec Watels, Lewoz, Haeck, Dyva. Je fréquentais aussi Reks qui m’a fait entrer ACK. A chaque fois que je retournais en Dordogne, je peignais également avec mon ami, 2Fan TVA.

On peignait dans les hangars désaffectés de la gare de Bordeaux-Saint-Jean. Il y avait plein de murs libres et vierges et quelques pièces que j’adorais, dont un Charly57 et un perso de Kern. On allait aussi dans les terrains principaux de Bordeaux : les hangars sur les quais, l’usine Cacolac, Wilson, Bagatelle, et à partir de 2006, dans la gigantesque caserne Niel.

Les CV, qui ouvraient la plupart des murs à Bordeaux, ont été les premiers à peindre là-bas, bien avant que ça devienne un Hall Of Fame. Maintenant, c’est géré par la mairie. A l’époque, les mecs de Xun.fr sont passés dans cette caserne et ont dit qu’ils n’avaient jamais vu un terrain aussi gigantesque en France. C’était vraiment incroyable. On faisait des gros murs en équipe, je suis un peu nostalgique. Les militaires faisaient des rondes en Peugeot 205, on se planquait, il y avait une dizaine de bâtiments avec plusieurs niveaux… C’était le paradis des graffeurs et on s’y est bien amusé.

Pourquoi la peinture ?

L’art sous toutes ses formes m’a toujours attiré. J’ai toujours senti que j’allais devenir un futur acteur de ce mouvement ou d’un autre domaine créatif. C’était impossible de rester spectateur. Je ne sais pas vraiment, je suis comme ça. J’ai besoin de le faire, de me projeter dans un truc et de le réaliser. Quand j’ai fini, je pense à la peinture suivante, aux erreurs à ne pas reproduire. Je ne peux pas changer ce que je suis, c’est une obsession.

J’ai beaucoup peint de 12 à 20 ans. Une fois installé en région parisienne, j’ai commencé à travailler. Je n’avais plus les mêmes priorités, ni le même temps. Je peignais seulement quelques fois par an, quand mes amis m’appelaient.

J’ai repris depuis un an, je me suis rendu compte que le temps passait et que c’était dommage d’avoir lâché ça. J’avais des idées en tête et une certaine motivation qui revenait progressivement. J’avais envie de savoir si je pouvais développer mon propre style. Avec Bouh, Watels et Emso on s’est déter quelques week-ends de suite et on a eu un déclic. Depuis, on peint chaque semaine, c’est ça l’esprit Final Flash.

Pourquoi ce nom ? Y a-t-il un rapport avec le SoundCloud ?

Quand j’ai commencé à peindre, j’étais jeune. Par mimétisme, je suis tombé dans les clichés de cette culture. Il me fallait un blaze dans l’esprit street. J’ai choisi K-libre. Sauf que je suis loin d’être un mec armé. En vieillissant, j’ai compris que certaines choses me correspondaient et que d’autres non. Vers 19 ans, j’ai décidé de choisir un autre nom, quelque chose que j’allais garder pour toujours. Il fallait que le concept ne vieillisse pas.

Ernest Illm est un anagramme de mon nom et de mon prénom. C’est en quelque sorte mon identité, vue par le prisme d’une autre dimension, celle de mon univers. Ça me faisait marrer de prendre un nom qui sonne vieux français, c’est le contraire de ce que l’on attend du blaze d’un graffeur.

Je fais également de la musique. J’y ai consacré quasiment tout mon temps libre ces dix dernières années. Je rentrais du taf et je faisais du son. Me remettre à faire des murs depuis un peu plus d’un an m’a un peu calmé. Entretemps, j’ai sorti quelques morceaux dont une musique pour un documentaire intitulé Boza, produit par Konbini. Sinon, je ne sors rien, je me sens pas encore prêt. Le virus n’est pas loin. Faire de la musique, c’est vraiment très addictif, je déconseille… sans rire. Parlons plutôt peinture.

Peins-tu exclusivement des murs ?

C’est mon domaine de prédilection. Je trouve le contexte incroyable : peindre une grande surface en quelques heures et avoir le résultat immédiatement. Et ensuite passer et penser à autre chose. En général, je déteste attendre. La bombe de peinture permet de passer d’une couleur à l’autre sans attendre que ça sèche, en plein air, en utilisant l’ensemble de son corps. C’est instantané et physique, en plus d’être mental.

Comment définir ton style ?

Dans la forme, c’est quelque chose de rétrofuturiste. J’essaie d’avoir un pied dans le passé et l’autre dans le futur. La nostalgie de mon enfance et mes fantasmes d’adulte. Je me sers des expériences concrètes qui m’ont construites pour exprimer instinctivement des visions abstraites. La dualité, le contraste ressortent en permanence quand je conçois quelque chose, les notions de boucles et d’absurde aussi.

Dans le fond, ma peinture parle de cosmologie et de mysticisme, de l’univers, de ses lois, de la matière, de la lumière… Il y a toujours cette dualité du sujet qui m’intéresse, ce que l’humanité accepte en tant que connaissance scientifique reconnue, en opposition à toutes les interprétations et les fantasmes qui émanent de questions sans réponses. Tout ça m’inspire énormément. Par exemple, j’ai une plateforme de lévitation qui sert juste à faire flotter des trucs. C’est génial, non ?

Quelles sont tes références ?

Dans le Graffiti, c’est ce que je voyais à Bordeaux : Haeck et Lylea partout, les toits de Bret AH, les chromes des AQZ, les CH57 sur la rocade, les persos incroyables de Kern et Nar. Il y avait aussi les WK qui tapaient des blocks de ouf en pleine rue dans le centre-ville qui passaient sur les fenêtres, les tags gigantesques au fatcap de Smek (Virus/Divx/Gluk) ou de Pire (Drek/Done). Deux Kings partis trop tôt. Je pense que la scène bordelaise aura toujours une pensée pour eux. C’étaient des acteurs majeurs qui ont largement fait le taf.

Je me souviens aussi des tags de Nuit, de Heek et d’Obra. Il y avait aussi Normer et Syest qui faisaient des wildstyles énervés. Et évidemment, le style fou des PME, des NA et des MX. Je n’ai pu malheureusement voir leurs trains qu’en photo, mais c’était dingue de voir ces panels réalisés dans les années 90 avec un style futuriste et minimal. Dans ma bande de potes, il y a les ASV, dont Boris qui me mettait des claques en handstyle, les ASM, les FSBL et Yass qui sont toujours présents.

En dehors de ma ville, certaines réalisations que j’ai vues dans les magazines et sur Internet m’ont vraiment marquées. Je me sentais profondément connecté à leurs démarches. Je pense à des artistes comme Dran, Roid MSK, Pantone UB, Horfée PAL. Ces personnes ont vraiment vu le graffiti comme une forme de peinture et d’illustration contemporaine, sans aucun complexe, tout en jouant avec les codes du Graffiti conventionnel. Ça a été important pour moi. J’ai continué d’aimer et de suivre le Graffiti, ou plus largement la peinture murale, même si je n’en faisais plus. J’apprécie le travail des artistes comme Robert Beatty, Jonathan Castro, Alexis Beauclair, Xavier Monney, Braulio Amado, Pablo Rochat, Ron English, Shida, Hyang Han.

J’aime aussi les pièces soignées de Sonik PNC, Popay, Nomad OBS, Pref ID, Gary, Igno, ImonBoy, Erase & Tchad PM, Selah, Drik TCK, Geek, Mr Kern, Landroïd, Jaw DMV, Dickey, Fresh, Erosie, Yacht et les tags et les throwups de Panar, Akbar, Gumbo, Tomek et des KSF.

En musique, ce sont les mêmes tendances qui m’intéressent : quand les rythmiques assumées contrastent avec les accords, quand des synthétiseurs un peu cartoon jouent des mélodies mélancoliques avec des effets de déstructuration, du warp, du pitch. Le label Warp Records est une de mes références. J’ai saigné la discographie de Squarepusher, qui est un génie à mon goût, il sait tout faire. J’ai toujours adoré la radicalité de Mr Oizo, son univers graphique et son fétichisme de la matière, de la lumière, ça ressort pareil dans sa musique. Par la suite, je suis tombé sur Siriusmo, qui incarne tout ce que j’aime. Son œuvre est un mélange de Squarepusher et de Mr Oizo, autant au niveau des concepts que de la sensibilité.

Pour résumer : Squarepusher, Siriusmo, Mr Oizo, Dimlite, Jdilla, les musiques de Nintendo, le premier album de Jackson and His Computer Band, les prods des Neptunes, Discovery de Daft Punk, Neon Indian, Jean-Jacques Perrey, The Gasman, Kirkis, Todd Terje, Flying Lotus & Thundercat, Jameszoo, Madlib, Photay, Chrome Sparks, Broadcast, Lone, Badbadnotgood, Chassol, Sybyr, The Other People Place, Yussef Kamaal, Fourtet, Machine Drum. Pas mal de Rap français aussi, j’en oublie plein c’est sûr.

C’est important d’innover ?

Innover est un grand mot. J’essaie de renouveler ma démarche. Peindre son nom est un cheminement naturel quand on vient du Graffiti. Aujourd’hui, je le vis peut-être comme un prétexte pour déployer des recherches graphiques à travers un défi binaire, c’est un challenge de décliner toujours les mêmes lettres. Il est possible que je finisse par ne plus peindre de lettres. Au fond, c’est pas vraiment important.

Aujourd’hui, je le visualise comme ça. Mais il y a un an, quand je m’y suis remis, j’ai peint comme à l’époque où je n’utilisais pas de sketch, et je me suis ennuyé. C’est pour cette raison que je me suis posé sur l’ordi en me demandant sincèrement ce que j’avais envie de peindre. Depuis, j’essaie de remettre mes acquis en question le plus souvent possible. Évidemment, ce n’est pas si facile. Parfois, j’utilise le même effet déployé différemment. Parfois, c’est plus subtil. Certaines pièces se ressemblent, d’autres moins. De manière générale, j’essaie de varier un minimum pour ne pas m’ennuyer, mais je crois que j’ai des phases graphiques qui permettent de définir mon univers.

Pourquoi s’inspirer de l’art numérique ?

Je suis directeur artistique. C’est mon environnement, ma culture et mon langage graphique. J’ai un profil de geek et je me sers de nombreux logiciels et de plug-ins pour expérimenter et créer. Illustrator, Photoshop, After Effect et Ableton sont mes outils préférés.

J’ai compris l’importance de cet univers en regardant Windowlicker, le clip réalisé par Chris Cunningham pour Aphex Twin. Il n’y avait pas forcément de glitch, mais un univers très absurde et psychédélique, qui n’avait rien à envier aux grands clips pop en terme de réalisation. C’était clairement chelou, mais de très bon goût, avec beaucoup de soins apportés aux détails et au timing. Ça m’a rendu ouf, une forme de maîtrise et d’équilibre se révélait par la dualité. Ça a beaucoup influencé ma façon de faire de la musique tout en orientant mes envies. Dans mon métier, je fais du design graphique et de l’illustration depuis des années. J’expérimente régulièrement autour de la forme, de la couleur, de la lettre, ce qui a un impact direct sur ma pratique de graffeur.

Pour aller plus loin, c’est aussi le cas de beaucoup d’artistes muraux. Certains murs sont peints autant à la bombe qu’au pinceau. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’oeuvres très variées avec des axes super éloignés du Graffiti originel, un peu comme dans le Rap en ce moment. C’est l’avantage de notre époque. Peut-être qu’on vit une sorte d’âge d’or artistique sans s’en rendre compte. Dans tous les cas, je trouve cela stimulant, ça bouillonne.

Comment prépares-tu tes pièces ?

L’observation est la première étape. Je regarde en permanence autour de moi, je prends en photo ou je fais un croquis d’un truc que je trouve intéressant. J’essaie tout simplement d’être curieux. Je puise mon inspiration dans d’autres domaines que le Graffiti. Les pionniers s’inspiraient des comics, des publicités ou des affiches du moment, peut-être pour attirer le plus possible le regard des gens de leur époque. Ils peignaient des trains qui circulaient dans New York. C’était ça la visibilité. J’essaie de tenter des trucs, à mon échelle. Aujourd’hui, la visibilité est possible par de nombreux moyens. On a beaucoup plus de possibilités à expérimenter. On doit aller de l’avant. J’aime m’inspirer des domaines très éloignés de notre culture.

J’essaie de visualiser une gamme de couleurs qui me plait. Je regarde toutes mes notes, mes références, et je prépare ma pièce, jamais sur papier, toujours à l’ordinateur, qui est mon principal allié. J’essaie d’avoir une idée principale et d’articuler des éléments autour. Je ne viens jamais sur un spot sans savoir que ce je vais peindre. Je n’aime plus créer de cette façon.

Techniquement, j’utilise exclusivement des bombes de peinture, rarement de fond au rouleau, voir jamais. Des bombes basses pressions et des super skinny, quelques fats pour le remplissage. Jamais de rouleau adhésif, même si, au fond on s’en fout, je ne juge pas. Si je dois un jour faire une ligne droite parfaite de vingt mètres, je prendrai du scotch direct. Mais j’aime bien ce challenge, donc pour l’instant je fais tout à la main, ça m’oblige à trouver des solutions et à progresser.

Quels sont les nouveaux effets que tu aimerais utiliser ?

Je ne sais pas trop, j’ai quelques idées en tête. Travailler la réfraction de la lumière, jouer avec la transparence, essayer des effets de cristaux ou de marbre, trouver des flows un peu plus bizarre. En ce moment, je suis dans une démarche assez typographique, avec des structures de lettres établies et conventionnelles. J’aimerais sortir des lettres un peu plus cheloues.

Des projets ?

Je me suis procuré un aérographe, je prépare une exposition. Je vais démarcher des galeries, mais j’ai déjà quelques opportunités, il faut juste que tout se précise, que je trouve le temps. Cet été, j’ai été invité à l’exposition New Rave à Hambourg, il y avait des trucs mortels. Je me suis senti honoré d’être invité avec des artistes dont j’apprécie l’univers. Ça m’a motivé.

J’aimerais aussi pouvoir voyager et pourquoi pas, être invité à des jams, ou des festivals internationaux de peinture murale. Voyager et peindre encore mieux ! Faire des murs avec les Final Flash (Bouh, Emso, Watels, Saez) et les CV. J’aimerais beaucoup peindre des pièces sur plusieurs jours pour aller plus loin, là aussi il faut avoir le temps… Et un jour, sortir mon album.