J’ai grandi à Paris 13ème dans les années 90. Le premier tag que j’ai remarqué, aussi loin que je me rappelle, c’est Jackson, sur le chemin de l’école, quand j’avais 5 ou 7 ans. Au lycée, je rencontre un premier tagueur parisien et je commence à comprendre le monde qui se cache derrière ces écritures. On forme très vite un groupe avec les OMT, puis les TER, du Nord au Sud de la France.

Je fréquente le milieu et j’enchaîne les rencontres qui vont me permettre de progresser. Je m’inspire de mes connections avec les TPS, puis les ODV, je cherche à affiner mon style, à évoluer, à puiser le meilleur de ce qui m’entoure pour trouver ma patte. Je commence à peindre à Paris, mais ma vie s’articule autour des voyages et je profite de chaque opportunité pour peindre là où je pose mes valises : Europe, Canada, Asie…
J’ai eu des périodes On et des Off, des vandales et des légales, des périodes actives et d’autres moins. Voici quelques anecdotes chinées dans mes vingt ans de Graffiti.

#1 Premier pas

Mon premier graff. Jusque-là, tout ce que je savais faire avec des bombes de peinture c’était de taguer pour m’amuser dans les rues de Paris et dans le métro. Ce jour de l’année 2000, je vais m’acheter du rose et du noir, je prends un appareil photo jetable avec flash au Monoprix et je m’en vais taper mon premier graff sur les rails de l’ancienne Petite Ceinture, dans le 15ème. On peut voir qu’au dessus de ma pièce j’ai écrit My First One. Comme si je ressentais le besoin de me justifier de mon petit niveau ou alors juste peut-être pour me souvenir de ce moment. Avec du recul, je trouve que c’est plutôt pas mal.

#2 Art éphémère

Ce que j’aime dans le graffiti, c’est le moment. On peut comparer l’acte de peindre à une performance artistique : un lieu, un moment, un public, un acte créatif, un échange, un effet de sidération, de questionnement, des réactions et puis tout disparaît. J’aime regarder ma pièce se former sous mes yeux sans savoir vraiment où je vais. Parfois j’aimerais ne jamais terminer ma peinture pour laisser une place à tous les possibles d’arriver sans jamais prendre de direction finale. Je dois être un peu rêveuse…

#3 Truck of Fame

Nous sommes en 2002 ou 2003. Un matin, le téléphone sonne : « Viens tout de suite si tu veux peindre ». Je me lève et je vais retrouver Moze sur le spot. Je découvre que mes compagnons de peinture ce jour vont être : OneTime, Jack2 et, de l’autre côté, Moze partage l’autre face du camion avec… O’clock. J’ai 18 ou 19 ans, je peins depuis quelques années à peine, je t’avoue que mes jambes tremblent. Qu’est-ce que je fais là ? Moze me chambre toute la journée parce que je cherche mon style et je ne veux pas faire des lettrages Oldschool. Je regarde beaucoup ce que font les allemands et les hollandais à cette période, je veux partir dans cette direction et les remarques fusent de la part de mon « mentor ». C’est la grande époque des Inter-Rail et il y a un bouillonnement de styles dingues en Europe. Et puis il me taille pour me mettre à l’épreuve, je le sais – comme si je n’étais pas déjà assez impressionnée par les Kings qui peignent à côté de moi !
On finit notre pièce et la police arrive. Une photo rapide puis je pars bras-dessus bras-dessous avec OneTime, comme si on était un couple en balade; puis tout le monde se disperse, chacun de son côté. Peut-être que je suis la seule à avoir la photo, tellement le départ a été furtif.
J’ignore où sont passés les autres, je n’ai jamais revu les protagonistes de cette histoire, mais le souvenir de l’instant est là, capture d’un moment improbable.

#4 Congé maternité

Après une pause de quelques années pour cause de congé maternité, je reviens à la peinture avec mon mini binôme, de manière moins illégale. Il faut conjuguer la vie de Maman et la vie d’Artiste.

#5 Rue des Pyrénées

2009-2010, je passe beaucoup de temps à l’ancien mur de la rue des Pyrénées (aujourd’hui le Ministère de l’Intérieur). Là-bas il y a des artistes graffiti tout le temps, de tous pays, je fais beaucoup de rencontres, je progresse. Mon fils peut peindre à côté de moi pour s’occuper. La peinture légale me permet de prendre mon temps sur mes prods et tester de nouvelles choses. Malgré mon éternelle insatisfaction, j’aime bien celle-ci que j’ai faite avec Bonks, de Mexico.

#6 Les voyages forment la jeunesse

Je découvre la Thaïlande pour la première fois en 2011. Je n’ai pas beaucoup peint là-bas, je faisais de la plongée et de la conservation marine. Mais je me rappelle d’une soirée à Bangkok où Adit me propose d’aller taper un train. On arrive sur le dépôt un peu allumés, c’est la nuit. On prend une photo avec le flash (!). Tout de suite, au loin, on voit des lumières s’agiter, ça arrive vite vers nous. On se cache dans le train, on se dit qu’au pire, on se fera passer pour un couple qui est venu batifoler ici. Après quelques minutes d’attente, on décide de sortir de notre cachette : Adit sort en premier et se prend directement une Maglite dans les yeux, on est démasqués. « Liza, tu peux sortir »… On commence à discuter avec les vigiles en anglais… « Liza, on va COURIR ! », et c’est parti pour la course-poursuite. Je n’ai pas envie d’aller en prison en Thaïlande alors je cours très vite, pas évident avec toute cette végétation… Quelle rigolade quand on a réussi à sortir du dépôt de justesse sur notre scooter !
Du coup, le lendemain, petite peinture tranquille au bord des khlongs.

#7 O Canada

A Montréal, de temps en temps, je me balade avec mon échelle à la recherche d’un mur dans la rue, ou dans une ruelle. Je me pose là ou ça me plaît et je tape une couleur en prenant mon temps. Souvent je finis par discuter avec les passants ou le propriétaire du mur, et en général tout se passe bien. J’ai appelé cela de l’Illégal Bienveillant.

#8 Mais qui vous paie pour ça ?

« Personne Madame, c’est nous qui payons pour ça ».
Ce mur était derrière chez moi à Montréal. On me demande souvent qui me paie pour les peintures que je fais dans la rue. Comment t’expliquer ? « C’est cadeau Madame »….

#9 Yours to discover

A Toronto, avec Peyo TER, on trouve un mur qui était l’arrière-cour d’une ancienne boulangerie. Sous nos pièces, à l’origine il y avait le logo de la boutique. On a gardé le beau ciel bleu et repassé le logo. On pourrait croire que c’est une façade légale, mais c’est une peinture vandale à l’arrache, c’est pour ça que je l’aime bien. Et puis on voit l’emblème de Toronto au loin sur la photo, la CN Tower.

#10 Avant qu’elle ne parte

Dans les moments difficiles, la peinture est toujours là, comme une thérapie. Je partage cette photo pour la première fois parce-que je n’arrivais pas à l’apprécier avant. RIP Mom.

#11 Back Home

2020 se termine enfin et je décide de poser mes valises à Toulouse. Nouvelle ville, nouveau Crew (merci les TG), il y a plusieurs vies dans une vie. Cette ville a toujours été pour moi un haut-lieu de la scène graffiti française, qui profite encore d’une belle émulation artistique aujourd’hui. Je suis heureuse de retrouver la culture européenne et ça se ressent déjà dans ma peinture, j’ai hâte de voir comment ça va évoluer.

#12 Les projets

De retour en France, j’espère pouvoir voyager en Europe en 2021 et faire des connections avec de nouveaux artistes, en particulier des artistes femmes.D’ailleurs, on m’a souvent demandé : « ça fait quoi d’être une femme dans le graff ? »… Vaste question ! Mais je remarque que de plus en plus de femmes peignent, j’ai envie de les rencontrer et qu’on fasse progresser les choses ensemble éventuellement.
Merci à Kaize pour le perso.

Plus de photos de Liza ici.