J’aurais préféré parler des créations des autres, je suis bien plus à l’aise à ce jeu là. Mais comme j’ai pas tous les jours l’occasion d’avoir les phares dans la gueule, et qu’il me reste en moyenne comme à vous tous environ quarante berges à vivre avant de crever d’un cancer, on attrape la corde quand elle se présente.

Par contre, si tu t’attends à des courses-poursuites à la French Connection de Friedkin, des Gun fights à la John Woo, du Torture porn avec des agents de sécurité, des tentatives d’action backjump sur le métro aérien de Gotham City, pour le sensationnalisme avec GoPro HD collée sur le front, tu vas être déçu, va falloir cliquer sur le lien d’à côté. Fais toi un thé. Enter the Void.

#1 Ferme ta gueule t’auras chaud aux dents

J’ai fait cette peinture le 30 Avril 2017, entre les deux tours de la présidentielle dans un entrepôt désaffecté en compagnie de l’équipe de doigts cassés. Je suis parti sur un visuel sans lettre contrairement aux autres qui ont décidé d’échanger leurs blazes. Les fonbs. J’avais ce dessin dans un cahier que j’ai peaufiné la veille pour illustrer ce moment où beaucoup ont ressenti cette pression, comme un gun posé sur la tempe, à devoir choisir entre deux humains que cette chère ploutocratie dysfonctionnelle proposait. Alors, pour évacuer cette démence collective des élections, j’ai essayé comme j’ai pu d’être un peu créatif en dépit de mon exaspération.

Ce genre de peinture évoque un peu l’humour noir à la Hara-Kiri avec des illustrations Hardcore mêlant le cul et le craspec pour vomir l’actualité. D’un côté, un guignol, un champion aux dents blanches, de l’autre une tubercule blonde qu’est pas née dans un environnement très intéressant. Ces deux là ont choisi de voir loin, mais si on leur pisse un peu à la gueule, ils riront jaune.

J’aurais pu te mettre une autre peinture de la même trempe sur François Fion, réalisée quelques mois avant. Lui aussi, il aurait mérité d’sécher sur la cuisse de sa mère. L’humour rend la vie plus supportable.

#2 On s’entoure plus de gens qui dépriment que d’gens qu’ont des primes

Quel genre d’enculé d’fils de putain est capable de se faire encrer sur le jarret ce genre de saloperie ? T’as des potes, c’est des cons. Ils ont un belle gueule mais ils ont pas inventé le caoutchouc mou, par contre ils sont de ceux avec qui tu peux compter tes blessures, parler de tes peines, du fait d’être un toy en amour, un toy tout court. Même si parfois, souvent même, t’as envie d’en faire assoir certains à la capacité de concentration limitée sur des bouteilles de Perrier. Des bâtards sensibles, avec qui tu passeras un weekend à peindre (environ 40%) et à t’insulter (environ les 60% restant) entre deux quiches tièdes pas bonnes sur le parking de Patapain. Autant d’individualités relous réunies pour trouver le spot caché à l’endroit où Chester Copperpot a échoué, cette euphorie de la découverte d’un terrain de jeu désaffecté comme le bateau de Willy Le Borgne. On aurait pu se retrouver pour faire du canoë ou des jeux de rôles dans une maison de quartier, c’est pas la même activité mais enfin tu remplaces la pagaie par une bombe t’as à peu près le même tableau, t’en as un qui veut aller à droite et l’autre à gauche, du coup, tu t’prends un arbre.

Ensemble, mais chacun fait ce qu’il a à faire sans aucun souci de cohérence, et viens pas nous parler de fresque à thème à quarante euros de budget. Ce genre de personnes avec qui artistiquement il y a un alignement des planètes, c’est précieux, c’est un carburant rare qui alimente mon moteur, qui nourrit la bête. C’est se mater Akira avec un vinyle de Gravediggazz en fond sonore chez Pastek aka Srope qui ne pense qu’à grailler des brochettes d’agneau chez les kainfris à Gennevilliers en allant faire des flops sur les briques rouges de la banlieue nord. C’est aussi écouter Shine On You Crazy Diamond de Pink Floyd en scrutant un livre de H.R. Giger dans l’atelier du pirate Dino Voodoo. C’est se mettre Legend has it de Run The Jewels dans la gova de mon gremlin Kid.F. Pas pour aller frimer en surf à la Bourboule, mais bien pour aller peindre des merdes sous la pluie qu’on se fera pomper un mois plus tard, les pieds dans les ordures d’entreprises fermées et délocalisées…

J’aurais pu te mettre une photo de groupe devant un mur avec une pose de ringard, mais j’m’en branle. De toute façon, on doit bien y trouver notre compte à faire toutes ces merdes, sinon on serait bien les derniers des abrutis, même si on s’entoure plus de gens qui dépriment que d’gens qu’ont des primes. On préfère les randos en bord de mer que de prendre de la coke dans des soirées électro à chier où on va devoir écouter les conneries d’un égocentrique saoul qui nous raconte ses plans trains à Shanghai. Fous-nous la paix. Déjà qu’on doit se coltiner J.Keuz qui prépare un album de post-afro-trap-dépressive… merci, ça ira. Et pour celui qui pense qu’on ne fait que des murs vierges de planqués, ma foi, tourne sur toi-même et gratte toi l’cul, j’en ai rien à foutre.

#3 Au pays des hommes Intègres

En Octobre 2014, une insurrection populaire survient au Burkina Faso dans la capitale du pays des Hommes Intègres, à Ouagadougou. Le soulèvement citoyen force le Président Blaise Compaoré à fuir le pays en urgence, l’assemblée nationale est prise d’assaut, incendiée ainsi que d’autres institutions. Après y avoir réalisé en 2013 un film sur les rappeurs locaux et peint quelques murs, j’y retourne en janvier 2015 avec le srab La Blate des TDI/1984 qu’est le genre d’humanoïde à s’allumer une cigarette sur le tarmac d’Istanbul au milieu des vapeurs de kérosène, entre deux avions. Bravo. On rencontre Marto installé depuis plusieurs années et originaire de Besançon, ainsi qu’un graffeur local, Savant. Il nous invite à peindre dans la villa de François Compaoré, le frère du Président lui aussi en fuite, qui a été pillée et vidée dans l’hystérie collective trois mois auparavant. Une bien belle demeure de millionnaire où même l’eau de la piscine à été siphonnée…

Avec de l’acrylique et quelques sprays foncées, je poursuis la série She Live en peignant cet avant-bras sortant du mur tel un ghost représentant les victimes de la famille Compaoré. François étant soupçonné/accusé d’avoir fait assassiner le journaliste Norbert Zongo et de procéder à des sacrifices humains dans sa maison. J’ai également fait quelques tags post-révolutionnaires au pinceau dans la maison, mais tu penserais que ça fait street art politique de couillon sorti des beaux arts.

#4 Fleujellation à Nevers

Je tombe sur cette chapelle abandonnée en plein centre ville de Nevers, le Détroit grolandais, avec vitraux, orgue, iconographie, autel… Ce genre de spot assez rare dont l’accès peut être muré le lendemain et qui te laisse peu de temps pour la réflexion. Vue la gueule du décor, tu vas pas monter un projet, faire une demande de subvention et envisager une fresque genre l’Apocalypse avec 3D et personnages en trompe-l’œil. Nul.

Je reviens rapidement avec un truc simple, sans ajout inutile. J’ai repensé à une peinture de Fuzi dans un spot similaire. Donc du blanc, du noir et du rouge, ce que j’avais en stock. Placement sous la robe de Marie, j’aurais pu tenter quelque chose de plus blasphématoire, j’ai préféré jouer la carte de la sobriété, éviter le surlignage, l’indigestion avec des fions démoniaques, genre succube de l’enfer. Re-nul.

Et si tu penses que j’ai gâché la gâche t’aurais fait quoi toi ? un collage moche ? Une tête de diable en hyper réaliste ? un wild style chiant ? Re-re-nul.

Parce qu’il y a toujours un film ou une scène qui me traverse la cafetière, là c’est Bad Lieutenant avec Harvey Keitel dans la scène où il se retrouve face à lui-même, pleurant au milieu d’une église saccagée à New York dans les années 80. On peut penser au final de The Killer aussi, mais j’aime pas les armes à feu. Ne me pardonnez pas car je sais à moitié ce que je fais.

#5 Coursade sur fret

Août 2016, vacances en Bretagne avec les PotoX, au retour d’une peinture sur un bunker de Quiberon, Les Gens nous demande si on a jeté l’oreille sur le dernier disque de Rihanna. On lui répond pour certains d’entre nous avec un léger sourire dédaigneux que Rah-niania, c’est pas vraiment notre came. Il sort la rondelle de son boitier en murmurant qu’on est des cons et l’enfonce dans son autoradio en nous disant de la fermer et d’écouter la première piste de l’album, juste la première. Il avait gagné, on a passé le trajet nocturne du retour à se laisser porter par ce Consideration cosmique, en boucle.

Quelques jours plus tard, on atterrit chez notre Faisan dans sa ville de droite insécurité zéro d’mes couilles. Il nous invite à peindre dans son playground du moment, des monstres de métal endormis dont les corps sans fin se prolongent dans un virage au milieu des bois, avant que la nuit ne tombe, vers 21h. Sur le chemin du retour deux bleus déboulent du fond des rails en cavalant dans notre direction. Ils nous laissent à peine une avance de cent mètres pour fuir. Tailler la bavette avec deux poulets, vue leur détermination, on va pas la tenter. Fret, train ou sous-marin, l’état d’urgence va peut-être pas faire la différence et on n’a pas d’argent à donner.

Donc chacun pour soi, un pour tous, tous pourri, le dernier des quatre finit par rouler en contre-bas et plonger dans une rivière nulle afin de se cacher sous un pont en pierres à proximité du spot. De l’eau jusqu’aux narines, croisant les fesses pour que le balayage des Maglite rasant la flotte n’éclairent pas son crâne de rouquin. Tu la vois la scène où John Rambo se camoufle recouvert de boue marron chiasse pour esquiver le shérif et sa troupe ? Et ben la même en toy.

Bredouilles, les deux troufions incompétents, pourtant entrainés à la course, sont bien obligés d’accepter avec honte qu’ils viennent de se faire avoir par quatre corps de lâche dont l’un pèse l’équivalent des trois autres à lui tout seul. Kid.Fret décide au bout d’une heure, après s’être fait lécher le cuir dans le noir par des poissons chats, de sortir sa carcasse molle de la vase, de récupérer sa bagnole garée plus loin le cul trempé, de passer chez lui changer de fringues, de téléphone et de soutien-gorge, de se faire des œufs sur le plat. Et de se décider enfin à venir nous récupérer sourire au bec, mes tibias lacérés par les ronces après avoir couru mochement dans les bois. On peut dissimuler beaucoup de soi-même dans la seule immobilité.

#6 Mad Movies

Tu mélanges le cinéma fantastique, de Jean-Claude Van Damme à Carpenter, de la zez qui coule, du graffiti brut sans trop d’effet et tu assaisonnes avec les maux d’un système social en apnée. T’obtiens une bouillie de mes centres d’intérêt, un bordel d’influences hybrides. C’est l’ambiance, le propos, le thème ou l’énergie de ce que j’absorbe à travers des musiques, des images, des photos, des livres qui m’importe. Je peux me mettre à faire une esquisse en écoutant Blacker the Berry de Kendrick Lamar avec le volume à fond ou en tombant sur une photo de cul. Il y a une idée qui va jaillir, et ça va me faire rentrer dans une espèce de transe, ça va me stimuler, m’exciter la gueule, le genre de trou noir où tu te fais absorber. Le monde pourrait s’écrouler autour de moi, j’en ai rien à carrer, je dois trouver le trait, gommer jusqu’à en déchirer la feuille pour trouver le bon équilibre.

Mad Movies, c’est un peu une référence comme les kainris des années 80 avec Vaughn Bodé, je trouve une tof, un élément, une typo et je l’exploite. Quand j’étais jeune dans les années 20, pas d’internet pour avoir des infos, pas d’article sur les films barrés, j’avais les jaquettes des VHS qui m’imprégnaient la rétine dans les vidéos clubs. Cannibal Holocaust, Bad Taste… dans mon imaginaire de kid, ça me mettait la goutte, et en même temps je voulais en savoir plus, à saliver devant des images de monstres et de pin-up tranchées en deux.

J’ai aussi bien usé les tapes de peura Crumbs County Delights, Galactic Snatchers et The Horrorap Vault qui faisaient le pont entre ces deux univers. Ma collection alimente encore aujourd’hui mon travail. Un trésor aussi bien rangé que les vinyles d’un digger qui y tient comme à la prunelle des yeux de Noémie Lenoir. Transition subtile vers le U du lettrage en forme de cul. Un cul de couleur pour la représentation des minourités ethniques bien sûr. Après je vais pas t’expliquer tous les éléments de la photo, démerde-toi. Téma les premiers films de Spike Lee.

#7 No Future Kids

En vacances pendant dix jours à Berlin en 2013, je checke Lost NFK sur le net. Pas habitué à ce genre de démarche, mais ne connaissant personne en Allemagne, je tente. On se donne rendez-vous dans un bar où quelques writers se retrouvent régulièrement pour dessiner autour d’un café et d’un morceau de tarte tatin, avec un DJ qui passe des galettes dans une ambiance détendue. Tu remplaces deux/trois trucs, et t’as l’impression d’avoir des mamies qui se retrouvent pour jacter macramé autour d’un chocolat chaud.

Sauf que là, c’est Mobb Deep et sketchbooking. Les No Future Kids m’avaient fait mal à la tête avec leurs turpins que j’ai découvertes sur la toile, style vaporeux, des fragments de B.Boy au trait direct, à la spray de carrosserie baveuse, des lettrages comme des vaisseaux spatiaux bordéliques, organiques, avec un traité inspiré par le comics Lobo: Infanticide d’Alan Grant et de Keith Giffen.

Du Cannibal Ox en graffiti. Dans la même veine froide, je peux te citer Senor et Ante des DFP. Grosse violence. J’ai pu peindre un mur dans leur quartier en tentant de trouver le bon dosage avec une typo qui s’effrite. J’aurais pu mettre uniquement la photo du Lost pour le coup, la mienne, j’m’en branle. Il est bien plus loin le man, et encore maintenant quand je vois ses peintures, je saigne du nez.

#8 Merci qui ?

La poitrine d’une femme est la plus belle chose qui soit, on peut la regarder et l’admirer exactement comme on regarde et admire une œuvre d’art.

– Paul Verhoeven

Au bout d’un moment, pour éviter l’excès de rigorisme, j’ai réfléchi à des compositions différentes, notamment pour les peintures illégales. S’essayer à du figuratif outrageux avec toujours ce désir d’enfoncer le clou dans le front pour poursuivre une approche plus singulière, en tout cas dans cette idée de mélanger les éléments, l’environnement, l’improbable, l’inadapté, la provocation et faire sourire les cheminots, ils en ont besoin.

Trouver sa patte, c’est du taff, ça peut prendre une vie, je ne dis pas que j’ai trouvé, les traités ont tous été faits. Plutôt que de se pencher sur la technique, je travaille sur les idées, et faut s’accrocher, y’a du monde dans l’interzone, l’époque a changé avec la Matrice, on est passé de Jacky & Bengy à Jacquie & Michel… ça va vite.

Le rendu doit être efficace, impactant, genre comics rétro avec du remplissage en aplat. Contour noir, deux, trois couleurs et peu d’éléments, un bon cadrage, une position et ce lien entre ce qui fait l’essence du traité graffiti brut, un peu hésitant.

Rien ne se crée, tout se transforme, donc je me creuse sans cesse la tête à la perceuse pour savoir comment adapter mes conneries en fonction du contexte. Un flop, un lettrage, ou un travail de peinture détaché du graffiti, je dois être en capacité d’être raccord quelque soit le support ou le procédé, c’est un monstre à plusieurs tentacules avec un cerveau commun.

Ce genre de peinture par exemple me prend du temps car je prépare beaucoup en amont, même si le résultat semble laisser penser le contraire. Sans permis de conduire, je prends mon scooter de marque chinoise d’occasion un peu pourri pour me déplacer et comme j’utilise de l’acrylique pour les gros remplissages, c’est trois pots de peinture sur la pétrolette plus un trois-marches. Il est 3h du matin au mois d’Novembre, j’ai froid aux griffes et au tarin mais peindre dans le noir à la lumière d’un Nokia de bicraveur, toi même tu sais qu’ça réchauffe.

Ça peut te paraitre un peu soporifique, toi qu’a rentré le métro d’Pyongyang, mais je vais pas non plus m’inventer une vie pour te faire plaisir, Pinocchio.

#9 Désolé pour les blondes

Je préfère de loin prendre un café avec une femme que m’asseoir à un comptoir avec un homme. Je peux avoir de longues conversations avec des femmes – pas toutes évidemment – qu’il me serait impossible d’avoir avec des hommes. […] J’ai appris dès l’enfance une chose essentielle : les femmes ne sont pas seulement égales aux hommes; à bien des égards elles leur sont supérieures.
– Paul Verhoeven

Pour les peintures de la série She Live, faut déjà avoir le spot, vierge, éloigné d’une école primaire de préférence ou d’une mosquée, gérer l’espace, faire le mélange pour trouver la bonne couleur de peau, je fais ma cuisine sur le choix des teintes, un vrai site de rencontre, je fais des combinaisons, tout un projet. Selon le mood, je suis plutôt asiat, alien, renoi, tismé, cyborg, mutante, brune, veuchs bouclés, lisses… Désolé pour les blondes, j’en peins rarement mais j’adore Brigitte Lahaie époque 70. Tu veux un GIF ?

Hofs arrête pas de me dire « ouais c’est bien les teuch, les gonz qui font l’ciseau tout ça, mais fais des zobs aussi, fais des hommes qui s’enculent ».

Il a raison, mais je m’occuperai des homophobes plus tard. Pour le moment, j’en ai rien à foutre. Je vais me lancer dans le prêt-à-porter, je vais faire dans la dentelle, je serai bientôt sponsorisé par Aubade mon copain. Faut faire des ronds et je suis en fin de droits. Alors comme j’ai un permis de conduire à financer, préparez-vous à acheter mes toiles, mes sets de tables et mes coussins.

#10 Entre érotisme et science-fiction

Je continue la mutation de mes compositions, j’expérimente des directions dans les différentes séries, j’dégraisse en évitant la régression. Dans ce type de peinture, je travaille la typo comme pour des flops améliorés. J’arrondis les formes, et parce que rien ne remplace la rondeur et le réconfort d’un sein, il doit y avoir ce rapport charnel avec l’arrondi et les plis des lettres. Je conserve les phases du graffiti classique, avec bulles, flèches, gouttes, briques, mes couilles, tout en y intégrant des éléments figuratifs comme pour construire des scènes de films imaginaires, entre érotisme et science-fiction, avec ce rapport à la monstruosité, la mutation, des dimensions parallèles.

Deux scènes de film expliquant ce rapport aux sécrétions visqueuses reviennent systématiquement, comme une obsession.

Mon pote Venom du label Marvel Records avec qui je partage cet univers commun, ce qui nous a amenés à collaborer ensemble sur ses clips, m’a passé un jour la VHS de Possession d’Andrzej Żuławski. J’étais loin de me douter que je serai marqué par une scène avec Isabelle Adjani. Un plan séquence dans le couloir poisseux du métro berlinois où prise d’une crise d’hystérie, elle se met à gesticuler, à se tordre en deux avant de se liquéfier d’un jus blanc et rouge sortant de sa bouche et de sa zez, ses yeux bleus grands ouverts comme si elle expulsait quelque chose d’abstrait. Traumatisme.

La deuxième scène marquante, c’est une partouse géante et organique dans Society de Brian Yuzna. Un final dégueulasse où de riches blancs, genre Les Républicains de Beverly Hills, se fondent les uns dans les autres comme des escargots en engloutissant un pauvre latino, le gugus qui joue mal dans Alerte à Malibu.

Ouais les flaques et coulures ça doit venir de toutes ces conneries, et sûrement d’autres choses plus intimes.

#11 Lettrage naïf

C’est une période ou je m’inspirais des dessins d’enfants quand je taffais avec des maternelles de 5-6 ans. Coloriages naïfs et superpositions de traits, organiques et filandreux, j’ai gardé l’énergie et le prénom de la petite Myriam en arrangeant un peu à ma sauce. En bossant avec les neujeus t’façon, y a un truc qui te remet à ta place, c’est du rekdi, ils ont pas ton temps, c’est pur.

Ça fait environ douze ans que je fais des ateliers artistiques et que j’interviens en zone rurale ou dans les quartiers délaissés, en France et à l’étranger, avec à chaque fois un souci d’être pertinent dans la proposition, dans ce qu’on va créer ensemble. C’est une autre facette de mon taff qui n’a pas sa place ici mais qui prend beaucoup de mon temps et qui me fait emprunter des directions visuelles différentes, plus proche du muralisme contemporain abstrait. Je peux kiffer le graffiti garbage autant qu’une compo de Nelio ou SatOne par exemple, le tout est de remettre dans le contexte.

Chaque courant de peinture a son histoire, des tags politiques à la bombe sur les murs de Téhéran de la fin des années 70, au muralisme des années 80 à Los Angeles. Faut faire attention à ce qu’on dit et avoir de l’humilité. On invente rien, la peinture c’est large, y a toujours plus ancien, plus fou, plus osé que toi. Si tu veux jouer au vieux réac qui affirme qu’avant le Hip Hop c’était mieux, que le cinéma c’était mieux, que les tartines au beurre c’était mieux, tu peux aussi t’excuser de ta date de naissance.

#12 Libérez la bête

Si tu prends Assassin de 1996 et que tu l’analyses aujourd’hui, vingt ans plus tard, Kassovitz parlait de radicalisation, ou du moins il traçait déjà les contours de ce qui nous attendait en France en quelque sorte, avant même qu’on y soit confronté. Si ce film a été détesté, c’est juste qu’il a voulu remuer le couteau dans une plaie ouverte avec La Haine et que personne n’a envie de sentir. Il y a eu la chute, le fœtus en gestation et ensuite, le cœur de Paris a vécu l’atterrissage en 2015.

Quelles que soient les séries que je développe, les médiums que j’utilise, il y a un ressenti similaire, une observation plutôt lucide, en tout cas, une rage artistique commune et brutale qu’on retrouve dans le travail de cinéastes décriés ou musiciens torturés, là ou la colère est le ferment de l’action. Voilà, donc ça c’était le passage Télérama mes couilles. Fallait le placer.

Bref, si je fais des Cortez et un survêt Lacoste avec un slash planté dans mon F, des cailleras mutantes défigurées, où même des caresses de créatures en gros plan, c’est rigolo, mais c’est surtout viscéral. Je cherche toujours à mettre le doigt, le majeur de préférence, là où ça suppure, là ou ça gêne, aussi maladroit que ça puisse l’être parfois.

Quand Casey rappe Quand les banlieusards sortent ou Libérez la bête, c’est de la fiction, elle crée un scénario, avec une atmosphère. C’est pour illustrer un constat sur un environnement précis, de grillages défoncés, d’usines et d’cicatrices. Tu peux éjecter des idées chelous par le prisme de l’art. Après dans la vie en vraie, en dur, je pense qu’on est plutôt cool, on fait partie d’associations, on intervient avec des jeunes, on est impliqué, on discute posé avec pédagogie, on bouffe des raclettes en famille… et heureusement qu’on a ça pour pas vriller, la turpein pour certains, le sport, la méditation, l’apiculture pour d’autres, c’est la soupape. Sinon, on s’immolerait, sois-en sûr.

On ne peint pas pour une petite élite qui s’écoute parler, même si au fond, on sait que c’est elle qu’a l’oseille. Un flop crade sur un store ou un tag à l’acide en dira toujours plus qu’une merde labellisée street art tendance pseudo militante. Balade toi entre gare du Nord et Châtelet à Paris, à mater la gueule des devantures, des toits, t’auras beau nettoyer et faire de la capitale une ville clean genre Singapour, t’empêcheras pas le slime de dégouliner des bouches d’égouts, la panamerie des bas-fonds, parce que ça fait partie de l’essence même de la capitale, y a une identité, une culture. C’est ce qui rend la ville vivante et romantique, pas tes franchises horribles ou tu payes ton coca citron huit euros.

De toute façon, au point où on en est, on apprendra bientôt que Cap, le writer blanc roux à mulet new-yorkais au flop incroyable, est en fait un agent du FBI qui a infiltré le graffiti au début des années 80 pour foutre la zone dans un mouvement réunissant des gamins des toutes les origines. En floppant et en toyant tous les panels, les vraies embrouilles entre crews ont pu commencer et ce, pour tuer dans l’œuf tout espoir d’unification entre classes sociales. C’est à cause de Cap, il a foutu le bordel ce con. #StyleWars #fakenews.

Je ne vois pas pourquoi les gens attendent d’une œuvre d’art qu’elle veuille dire quelque chose alors qu’ils acceptent tout à fait que leur vie ne rime à rien.
– David Lynch.

Bref, léchez des zez. Bonjour tristesse à mes PrédatorX, on choisit d’être esclave de la gravité, ou pas. Je lève ma spray aux ADM (Howie, Pesa, Jorgio, lourd les gars), aux OCT (Persu, Skey bientôt la ménopause), à Poter (de Nevers à Yonli, je supporte), aux PEF TDI, à Bop 41C, aux lambdas qui se déplacent comme s’ils avaient l’air de s’excuser, aux Edgar Friendly, aux Ellen Ripley, à celles et ceux qui te checkent pour ton taff sans te connaître, aux aliens qui naissent pas d’hier et aux kids nés sous Sarko et qui ont bien compris dans quel monde ils vivent. On connait personne du milieu, juste des gars du centre et si tu me cherches, tu me trouveras à la Cantina de Chalmun sur Tatooine sirotant une potion, en train de caresser les mandibules d’une créature bleu turquoise à trois seins. Escape from Planet Earth.

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