Je suis né aux alentours de 2010 par un hasard de circonstances atténuantes. Depuis, j’ai muté en une multitude de possibles et d’imaginables. Je n’ai rien dit ou presque. J’ai suivi quelques chemins, j’ai travaillé sous terre, comme à la mine.

Avant tout, j’aimerais rappeler ceci, pour me déculpabiliser de dire n’importe quoi :

Parler de peinture n’a aucun sens. En exprimant une chose par le langage, on la transforme. On construit des propriétés qui peuvent être désignées. En revanche, on supprime celles qui ne peuvent être exprimées par la parole et qui sont les plus importantes.
– Gerhard Richter

Ceci étant dit, les mots qui suivront, puisqu’ils doivent exister, tenteront d’être du domaine de l’interrogation visant à tourner autour de l’image proposée. Disons, un condamné faisant le tour de sa toile comme d’une cour de prison dont il rêve de s’échapper.

#1 A plusieurs dans ma tête

Il y a peut-être une donnée qui traverse mon travail depuis sa genèse jusqu’à aujourd’hui. C’est l’acceptation d’être multiple pour la bonne et simple raison que je ne me suffis pas à moi-même. Nous sommes donc plusieurs à habiter un seul corps. Les choix esthétiques ou stylistiques qui émanent de mon travail ne sont que le résultat de rencontres concrètes ou spirituelles avec des créateurs, vivants ou morts, dont le travail a voyagé jusque dans ma tête.

Le chemin qu’ils ont parcouru est un indice pour la voie à suivre et non pas une barrière à vos pas. Ils ont vécu et par ce seul fait, ils ont l’expérience. Ce n’est pas se diminuer que de reconnaitre ce qui est.

L’influence s’explique par la capacité à révéler une partie de soi encore inconnue. Vous me direz : dire ça ou ne rien dire, cela revient au même.

#2 Le combat

Si la peinture est tantôt un divertissement, une manière de combler un ennui, un passe-temps, elle reste avant tout un combat. Un combat mené principalement contre moi-même, et puisque je suis multiple, un combat contre tout ceux qui nous habitent et nous entourent. Un combat tendre et brûlant.

Seuls peuvent être tes amis, ceux qui eux-mêmes luttent contre ceux, qui par l’exemple de leur propre activité, stimulent ce qu’il y a d’actif en toi.
– Vincent Van Gogh

#3 Hommage à Narcisse

Cette peinture est une référence à un dessin de Honoré Daumier montrant Narcisse au bord de l’eau. Narcisse est un personnage qui m’a beaucoup intrigué et sur lequel je m’interroge souvent. Il tient une place prépondérante dans le Graffiti et dans ce que l’on reproche à ceux qui pratiquent la peinture sauvage. D’une manière plus générale, on tend à nous faire croire que le narcissisme est une faute. Une faute qui stigmatise notre époque. Comme si le fait de se choisir un pseudonyme récurrent, qui est en réalité une base de travail, était l’illustration même du triomphe de l’égoïsme.

Je pense que dans le personnage de Narcisse, il y a une réelle recherche, une quête d’unité, une volonté de trouver un sens de complétude. Cela pose la question de ce que nous désirons. J’ai souvent l’impression que le peintre de rues cherche à se rencontrer, cherche à savoir ce qui le comble et ce qui le leurre. Il tend à se libérer des identités fabriquées et imposées, il tente d’éclore, comme les narcisses au printemps.

#4 Le mythe de Sisyphe

Bien qu’à première vue, je l’admets, cette peinture peut faire penser à un étron pointu et boursouflé, ma tentative, certes un peu téméraire, était de représenter le mythe de Sisyphe. Ce personnage illustre la quête, un impossible rêve ou encore une lutte sans question ni repos. Tenter d’atteindre l’inaccessible étoile, comme dirait l’autre. Cette pièce évoque l’éternel recommencement de notre pratique et la dimension vaine de la peinture.

#5 Au-dessus du vide

Il me manquait dix centimètres, en équilibre sur une corniche. Dix mètres de vide de part et d’autre. Sur la pointe des pieds. Appuyé sur une tuile. Mon bras tendu pliait dans l’autre sens et il me manquait dix centimètres. Korsa mon ami, les mains tendues dans mon dos, m’aide à combler la distance. Mes doigts s’agrippent, le vide augmente, une jambe suit l’autre. Les deux pieds sur le toit. Me voilà prêt. La suite est évidente. Une tache rouge et pointue au milieu de la ville.

#6 La grande évasion

Ouvrir la fenêtre et saisir l’appel du dehors, un éternel retour vers la ville, un départ constant pour la campagne. Des yeux impossibles à fermer puisque tout est prétexte à créer, une mémoire bruyante et saisissante où les souvenirs s’enchevêtrent, une zone autonome temporaire où s’expriment les vues de l’esprit, une joie intense de venir au royaume éphémère se scruter tous les jours encore un peu plus. Il n’y a plus de mur entre l’atelier et la rue.

#7 L’aller…

Une des raisons pour lesquelles je pratique le Graffiti et la peinture en extérieur tient dans le fait que cette activité offre et propose une aventure. Elle propose une alternative à la solitude de l’atelier, met en mouvement et génère de l’émotion par le seul fait qu’elle est tournée vers le dehors. L’émotion est, je crois, le facteur fondamental de tout ce qui se crée. C’est le commencement et la fin.

Au milieu se trouve le métier, l’objectif et la pratique. Voilà une des raisons pour lesquelles j’ai décidé de faire une série de toiles qui mettent en valeur le cadre dans lequel s’inscrit mon graffiti. L’environnement dans lequel la peinture prend place est à mon sens beaucoup plus digne d’intérêt que la peinture elle-même. Peinture dont je reste généralement bien mécontent. J’ai trop à l’esprit cette étonnante nature qui l’entoure.

#8 Et le retour

Cette proposition est un hommage à André Lemaitre, un peintre Français originaire de Caen qui a perpétué la leçon de Cézanne. L’acte posé ici est plus ou moins l’inverse du parcours décrit précédemment. Il tend à proposer une peinture en extérieur dont j’ai pris connaissance dans un livre, peinture elle-même générée par Lemaitre en extérieur.

#9 Peut mieux faire

Ce jour là, comme d’habitude David le cheminot arrive à son travail. Travailler le dimanche lui laisse toujours un goût amer mais avec les années il s’y est accoutumé. Cet après-midi, il fait particulièrement beau et chaud pour un mois d’Octobre. Il semblerait que c’est le soleil qui lui donne un sourire niais. Conquis par un entrain inhabituel, sans trop d’effort, David décide d’enfourcher son vélo pour faire le tour du dépôt et remplir sa fonction. Il pédale allègrement à coté des monstres d’acier qui sont devenus pour lui aussi banal que l’ennui.

C’est alors que David remarque quelque chose d’inhabituel. Ses collègues lui en ont pourtant déjà parlé maintes fois mais il ne l’a jamais vu de ses propres yeux. Trois individus, humains à priori, absorbés par leur tâche, colorient vivement les wagons.

David, un peu décontenancé, sait que ses directives lui imposent de chasser quiconque se présente dans ces lieux sans autorisation. A peine a-t-il le temps de choisir un comportement que les individus, ayant remarqué sa présence étrange, ont déjà plié bagage et se dirigent vers la sortie.

Enhardi par le respect que les étrangers ont l’air de lui accorder, David descend de son vélo et crie vers les fuyards : « peut mieux faire, les gars ! »

David ignore encore que ce jour là, involontairement, il a transmis beaucoup d’entrain et de volonté de dépassement de soi. Merci David, si tel est ton nom.

#10 Voyager léger

Courage, avançons, un jour arrivera où nous arriverons à voyager léger.
– Bertrand Belin

#11 A mes compagnons de route

Pour être tout à fait franc, je ne sais pas trop quoi dire de cette peinture. Peut-être devrais-je ne rien en dire. Peut-être juste qu’elle est dédiée à tous mes compagnons de route, surtout Bart Korsa et Idiot. Si vous avez quelque chose à en dire, je suis preneur.

#12 L’esprit du jeu

Peindre comme quand on allait jouer chez un copain, quand on était enfant. Garder vivant l’esprit du jeu, l’enfant. Délester les murs des poids lourds et des discours. Se mettre au pied du mur. Se casser la gueule. Se relever. Rester en mouvement. Rire en fait, surtout. Tout cela n’est pas très sérieux en fin de compte.

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