Troisième escale temporelle pour ce nouvel épisode de Timedrops. Après avoir fait le plein de Plutonium de la DeLorean, Doc met le curseur sur l’an 2000. Direction l’Est de la France pour rencontrer Wise.

– Hey Doc, reculez ! La route est trop courte pour atteindre 88 miles à l’heure !
– La route ? Là où on va, on n’a pas besoin… de route.

Originaire d’Évreux, Wise s’intéresse au Graffiti à la fin des années 90. Passionné de mangas de comics et de films d’épouvante, le skate occupe une grande partie de son temps libre, mais tout va être chamboulé à partir du moment où il s’installe du côté de Strasbourg.

2000 : Premier graff sur les voies

Ça fait un moment que Maze et Vega, mes compères de ride, ont commencé à peindre de leur coté. Un soir, Maze me propose une petite virée nocturne le long de la voie ferrée pour faire un bloc INC, un crew que j’intègre peu de temps après. Vu que je n’avais pas grand-chose d’autre à faire, je me suis dit que ça pouvait être marrant. C’est ce soir là que tout a commencé. Le hasard faisant bien les choses, quelques semaines auparavant, je tombe sur un numéro du magazine Ride-on où il y a une rubrique Graffiti qui m’envoie du rêve. J’ai toujours ce magazine, et avec du recul, ce n’était pas si génial. Mais il faut bien commencer quelque part. Faut pas oublier qu’à l’époque, à la campagne, les références ne courent pas les rues. Par chance, peu de temps après, j’ai mis la main sur le livre Kapital : Un an de graffiti à Paris. Au même moment, des magazines comme Graff Bombz arrivent en kiosque. Je réussis aussi à mettre la main sur des vidéos comme la Woodentricks, la TRUMAC, de Paris à South Bronx, et bien sûr la fameuse Dirty Handz.

Me voilà motivé et comme tout bon toy qui se respecte, je fais mes classes, j’enchaine les tags, les throwups et les pièces de piètre qualité à droite et à gauche. Je commence en utilisant le blaze Fedup, avant de passer à Wise. Je trouve que ça sonne bien, vu que je suis un grand fan de comics, l’enchainement des lettres me parle. Mes collègues se foutent de moi. Pour eux, le blaze doit avoir une relation avec ton nom.

J’avoue qu’au début, j’ai du mal avec le W, mais je considère que je ne m’en suis pas trop mal sorti. Au début, je n’ai pas vraiment d’idée précise sur le style vers lequel je veux m’orienter. Mes influences se limitent à mes potes, Maze, Vega, 2Flag et Cors.

Avant tout, je veux peindre. Le style reste un truc assez abstrait pour moi. Je teste plusieurs délires pour apprendre à maîtriser la bombe et voir ce qui peut me correspondre. Je choisis le wildstyle ou le semi-wildstyle. Avec mes potes, on cherche des spots désaffectés dans le coin de notre bled pour s’exercer tranquillement. Je réalise vite que je préfère la qualité à la quantité.

2003 : Wildstyle organique

Je ne sais toujours pas par quel miracle on a l’opportunité de peindre un karting indoor gigantesque dans un bled perdu. Pour la réalisation de ce projet, on demande autour de nous si des mecs sont chauds pour nous filer un coup de main. Je ne connais pas grand monde à l’époque. Au final, on réussit bien notre coup. C’est un super jam avec des mecs de tout l’Est de la France. Cet événement me permet de rencontrer certains de mes futurs collègues des JPP. Je découvre aussi plein de techniques de peinture qui m’intriguent et me motivent à passer au niveau supérieur. Comme recouper les traits, faire des fausses 3D en jouant avec des effets de dégradé et de contre-lumière. Après cet événement, je me dirige vers un style qui me plait et me correspond plus, techniquement et esthétiquement. A l’époque, la tendance est de faire des petites pièces ultra-propres avec des contours très fins. C’était cool, on pouvait se mettre à plusieurs sur des petites surfaces, tout en ne gaspillant pas de peinture.

Je focalise mon énergie sur la technique plus que sur le lettrage. Je reproduis la même pièce dix fois suite, juste pour comprendre et maîtriser un effet. Je taffe aussi le mouvement global de mes graffs, les jeux de lumière et les choix des couleurs sont très importants. Je déstructure mes lettres jusqu’à ce qu’elles ne soient plus lisibles. Mes potes donnent un nom à ce style : le végétal ou l’organique.

2004-2010 : Alliance franco-allemande

Motivés par l’envie de faire des gros murs, on crée les JPP avec Maze, Vega, 2Flag, Vener, Jupe, Cors et Cuba. Je commence à être invité à des petits jam qui me permettent de rencontrer d’autres graffeurs. De fil en aiguille, je commence à voyager et je rencontre de plus en plus de gens qui m’influencent et me donne des trucs et astuces pour faire évoluer mon style. Je garde un super souvenir d’un jam à Nancy avec toute la crème du Graffiti du coin. Une sacrée claque visuelle. Il y a aussi un roadtrip totalement ouf durant lequel je rencontre les AGB et les AKV à Caen. Ce périple m’ouvre les yeux sur plein de styles et de techniques. En rentrant chez moi, je suis à fond, je dédie tout mon temps libre au Graffiti, quelque soit le support.

Les allemands des FK viennent régulièrement peindre à Strasbourg. Ça nous donne un sacre coup de boost. J’accroche bien avec Mars, Tron et Ceon, un des meilleurs graffeurs que je connais. C’est une des périodes les plus enrichissantes pour moi. Toute cette émulation est géniale. C’est pendant cette période qu’on fait de grandes fresques à thèmes avec un code couleur, un fond commun, avec la rigueur allemande. On s’influence les uns et les autres tout en conservant une identité personnelle.

2006 : Remise en question

Je maitrise enfin la technique pour peindre des lettrages organiques. Je réalise que ce type de prod commence à sérieusement m’ennuyer. Les mecs de mon crew me font la remarque que la base de mes lettres devient un peu faiblarde. Je reprends mon sketchbook et je recommence tout à zéro. Je retravaille certains de mes lettrages. Ça prend un peu de temps avant de refaire des trucs qui me plaisent, mais j’ai toujours la satisfaction de mettre des effets dans tous les sens.

Un jour Fans me dit : « Wise, c’est le supermarché de l’effet. »

Il n’a pas tort. Aujourd’hui, avec du recul je peux dire que le mec qui m’a remis dans le droit chemin et motivé à faire de nouveaux lettrages, c’est Ogre. A cette période, il squatte régulièrement à la maison. Avec lui, c’est super enrichissant de débattre du mouvement et de la dynamique du lettrage. Ça me permet d’élargir ma vision du lettrage et de tester plein de variations possibles.

2009 : En binôme avec Jupe

A cette période avec Jupe, on se motive pour peindre ensemble. On a des styles complètement différents mais on est toujours sur la même longueur d’ondes quand on est face au mur. C’est vraiment cool de bosser avec quelqu’un qui est propre comme une imprimante industrielle.

2010-2015 : Expérimentation graphique

Les potes vieillissent, ils ont des enfants et n’ont plus le temps de peindre. Certains ont tout simplement perdu l’envie. Je commence aussi à lever le pied. Je prends du recul et je me demande comment évoluer dans ma pratique. Je prends plus de temps pour réaliser mes graffs. Avant, j’utilisais systématiquement un point de fuite orienté vers le centre de ma pièce. Une phase récurrente qui a fini par me saouler. J’en expérimente d’autres, avec des connections différentes entre les lettres. J’aère mon lettrage, je fais des pièces plus épurées avec moins d’effets… mais les vieilles habitudes ont la vie dure.

2016-2018 : Lettrage sous influence suédoise

 

J’ai toujours été attiré par les styles des gars qui peignent des trains, particulièrement par les suédois comme les WUFC. J’adore aussi les productions d’Obisk, de Hélas, de Coler, de Frap et des TFG, pour citer des gars de chez nous. J’ai essayé de temps en temps de faire des styles inspiré par cette école mais c’est souvent un échec cuisant. A croire que mon cerceau de wildstyler n’y arrive pas. Avec beaucoup d’entrainement ces dernières années, j’ai réussi à peindre des lettrages qui me plaisent bien. C’est pas des authentiques style suédois, mais je kiffe mélanger mes phases wildstyles avec des lettres rigolotes. Finalement, je constate que ça ne m’amuse plus trop de me prendre la tête sur des graffs avec des effets et des swings dans tous les sens. J’ai désormais envie de faire des trucs funs quand je peins.