Fresques à thèmes, compositions élaborées et lettrages solides… En Belgique, Ryck Wane fait partie du noyau dur du Graffiti sur mur depuis plus d’une quinzaine d’années. Pour découvrir qui se cache derrière ce membre des crews RFK, SMS et KSA, on a pris le Thalys, direction Bruxelles.

Rencontre avec ce puriste de la lettre.

Peux-tu te présenter ?

Ryck Wane, la trentaine bien entamée, je pose Rik, Ryck, Rick, Riker, Riker, Skirz… selon mon humeur et ce que je gribouille. C’est mon premier pseudo, je l’utilise depuis mes débuts. Sinon, je suis un gars lambda qui a des factures à payer et tout ce qui va avec.

Peux-tu décrire la scène bruxelloise ?

Vaste sujet ! Comme partout, il y a à boire et à manger, du style ou pas, des jeunes qui commencent, des vieux qui s’y remettent ou qui n’ont jamais arrêté, des fous furieux qui lâchent rien, des gars à l’ego surdimensionné qui cassent les couilles, des gars qui peignent, d’autres qui se prennent pour des artistes parce qu’ils ont fait deux expos et trois plans payés, des étoiles filantes qui vont soi-disant tout casser, mais qu’on ne verra plus dans deux ans, des gars qui pensent que le mur ou le dépôt est à leur père et te sortent que c’est leur plan, des toys, des cassos, bref la scène Graffiti. La Belgique, c’est pas grand, on finit par tous plus ou moins se connaitre de vue.

Quand as-tu commencé à peindre ?

J’ai grandi dans un quartier où il y avait beaucoup de graffiti. Et des graffitis de qualité en quantité ! Enfant, cela me fascinait et m’intriguait, ces lettres colorées, ces signatures. Mon grand frère qui était punk, m’avait un peu expliqué le truc. Que des gens fassent ça gratuitement dans la rue, je trouvais ça original, extraordinaire et évidemment, je voulais faire pareil. Après avoir tagué au marqueur Artline 90 les bancs et les toilettes de l’école, je touche mes premières bombes en 1998.

Un souvenir de ta première pièce ?

Je m’en souviens très bien et franchement c’était horrible. C’était dans une impasse près de chez moi où personne n’allait. J’ai fait une pièce dégueulasse en bleu métallisé, contours noirs, sans effet, ni light, avec des Motip. Ça coulait partout, je ne maitrisais rien, je m’en suis foutu partout et en plus je me suis fais défoncer par ma grand-mère à cause de la peinture sur mes fringues. Par la suite, je me suis concentré davantage sur les tags, car c’était plus simple, naïf que j’étais, et ça nécessitait moins de matériel. Je me suis mis sérieusement aux lettrages et au Graffiti deux ans plus tard, en 2000. Depuis, je n’ai jamais lâché le truc.

Avec qui t’es tu mis à peindre ?

Le vrai déclic, c’est ma rencontre avec Itea qui posait Taz à l’époque. J’étais déjà bien dedans et je tagouillais gentiment. Il était vachement intéressé et curieux. Vu que le courant passait bien entre nous, on s’est rapidement engrainé. En plus, personne ne voulait peindre avec nous, ce qui a renforcé notre envie de montrer qu’à deux, on avait besoin de personne. Mes plans les plus foireux comme les plus épiques, c’est sans doute avec lui que je les ai faits. Aujourd’hui encore on continue de s’engrainer.

Quelle est ton approche du lettrage ?

Pas simple… Un lettrage doit avoir du style dans son ensemble, mais chaque lettre doit avoir une base solide. Même si on retire les phases et les autres éléments. J’aime quand ça reste lisible, avec de bonnes grosses lettres bien balancées. C’est ce que j’essaie de mettre en application dans mes graffs. Une base simple et relativement classique que je modifie et que je dynamise. Sur cette base, j’ajoute des éléments, des phases pour lier, tout équilibrer et compliquer si besoin et selon l’envie du moment.

Quelles sont tes références dans le Graffiti ?

Ça va faire discours de vieux con, mais bon… A l’époque où j’ai commencé, c’était le début d’Internet, les magazines ne couraient pas les rues et coutaient cher. Et surtout, je ne savais pas que  les magazines de Graffiti existaient. Ce que j’avais sous la main, c’était les pages Graffiti du magazine Radikal qu’un pote achetait. Pour le reste, il fallait consommer local et se déplacer pour voir les pièces. Mes références ne parleront sans doute qu’aux vieux bruxellois.

Le gars qui m’a scotché, c’est Zone BCP. Des lettres simples mais funky et des choix couleurs de dingue. J’ai encore dans le fond de ma rétine l’image d’une de ses pièces le long du canal près de chez moi. Globalement, tous les BCP. Le duo que formaient Deuce et Ekey m’a mis de sérieuses claques aussi. En vrac, je citerais encore : Neant, Dekor, Roel, Format, les crews CNN, UTK, KSA, RAB, NSE. Plus tard, des gars comme Recto, Bootsh, Xols, Moroz ou le crew THC m’ont aussi fait une forte impression. Au final, ces gars m’ont le plus influencé, je repense encore souvent à leurs pièces et à leurs tags. Quand un archiviste sort une photo de cette époque, c’est capture d’écran obligatoire.

En référence internationale, j’ai déjà fait assez de name dropping donc je n’en citerais qu’un pour sa régularité, sa longévité et son efficacité : Bates. Évidemment, on est toujours influencé par ce qu’on voit et ce qu’on kiffe, par les gens avec lesquels on peint, même de manière inconsciente.

D’où viennent tes persos ?

Je ne sais pas vraiment. J’ai été nourri au Club Dorothée, aux cartoons des années 40 et 50, à Picsou Magazine et à Mickey Parade. J’ai toujours accroché aux univers graphiques simples et colorés. Après plus de vingt ans de macération dans mon cerveau malade, voilà le résultat. Parfois, j’aime juste reproduire un perso existant que je kiffe. Les persos, c’est pratique pour les compos à thème.

Plutôt chrome ou couleurs ?

Le chrome, c’est pour faire gros et rapide. A la rigueur, si le mur est pourri. Si je me casse le cul à aller dans un Hall Of Fame ou dans un terrain, c’est pour faire une couleur, ou un truc un minimum travaillé, pas un chrome contour noir sans fond ni effets.

Plutôt fresque préparée ou impro totale ?

Ça dépend, les deux ont leurs charmes. J’ai fait des fresques ultra préparées qui au final ne rendaient rien et des murs en totale impro avec trois bouts de ficelles qui rendaient super bien. Généralement, je prépare un peu. J’essaye toujours d’avoir un croquis pour mon lettrage et j’improvise en fonction de la place, du support et du matos que j’ai.

Plutôt Hall Of Fame ou terrain vierge ?

Je préfère les spots vierges. Déjà, parce que c’est fond gratuit, alors que dans les Hall Of Fame tu dois le payer. En plus, j’aime faire des photos d’ambiance de mes pièces, les spots vierges s’y prêtent mieux. Le coté aventure, ne pas savoir exactement où tu vas peindre, ça me plait vachement aussi. Quand je veux faire un truc carré, ou à plusieurs tout étant sûr de finir ma pièce, le Hall Of Fame, c’est cool aussi. Et quand je reçois des graffeurs pour faire un mur, c’est pratique.

A Bruxelles, quels spots préfères-tu ?

Mes deux spots préférés sont aujourd’hui détruits. Le premier s’appelait Val Duchesse, c’est là que j’ai réalisé mes premières compos avec Itea. On a trouvé ce spot qui était une ancienne école dans un carré de verdure à quinze minutes du métro. Le second vient juste d’être rasé. Je l’ai trouvé par hasard en me promenant avec ma femme en 2003. C’était un rectangle de béton brut de deux cent cinquante mètres de long sur quarante mètres de large. Deux cotés divisés en niche de huit mètres et cinq grands murs pour faire des fresques. Le truc idéal pour faire des graffs pas loin de chez moi.

Quelle est ta journée Graffiti type ?

Je pars tôt car je n’aime pas arriver sur le spot à 13h et devoir me grouiller pour finir ma pièce et avoir une photo. Ou pire, ne pas pouvoir finir et devoir revenir. Donc, sur place vers 8/9h. Ensuite, on apprête le mur, construction, remplissage… Le tout entrecoupé de pauses ou on discute avec les potes. Après y’a des classiques quand je peins avec mon noyau dur.

Si El Nino est posé à ma gauche, je sais que j’entendrais : « Ricky, ça te dérange pas si je colle à ton bazar. »

S’il faut peindre sur une échelle, ce sera pour Exom alors qu’il déteste ça, Reset passera me prendre chez moi à 8h mais aura cinq, dix minutes de retard. Mesk prévoira une couleur de dingue pour le fond et amènera la peinture, Aze ne viendra pas car il s’est encore bloqué le dos…

Généralement, je finis le premier. J’en profite pour saouler ceux qui n’ont pas fini. En mode, tu as oublié une 3D, tu rajouterais pas du jaune… Si j’ai le temps et qu’il y a de la place, je peux tenter une deuxième pièce.

Ensuite, on prend les photos, on rigole encore un peu, on se rentre et on recommence la semaine d’après. Parfois, j’aime aussi aller peindre seul. Le programme est grosso merdo le même sauf que les pauses sont plus courtes et moins fun. Si c’est possible, j’embarque mon chien avec moi.

Réponds-tu à des commandes ?

Peu, très peu. Si je n’ai pas carte blanche, je dis non. Après, je suis prêt à accepter des couleurs et un thème imposé, mais pour du Graffiti. J’ai un taf à plein temps, pas besoin de faire des logos ou des têtes de Yorkshire pour manger. J’ai essayé et j’ai vite compris que j’étais pas fait pour ça.

Peins-tu ailleurs qu’en Belgique ?

Ça m’arrive quand je suis en vacances ou pour des jams. Je ne suis pas un globe-trotter et il y a assez de spots pas trop loin de chez moi. J’ai pas mal voyagé en Europe pour me faire des connections, mais faire plein de kilomètres pour peindre avec untel sur un plan moins bien que chez moi, perso j’en vois plus l’intérêt.

Et le vandale dans tout ça ?

J’ai eu ma période, mais maintenant c’est le calme plat, même si j’ai toujours un marqueur en poche et que sporadiquement j’y fais une incursion. Mais bon, rien de bien notable, je suis clairement devenu un rat de terrain.

Ton point de vue sur le street art ?

Je n’ai rien contre. Ça plait, ça ouvre les yeux de certains, c’est accessible, ça crée des opportunités, ça ouvre des portes. Ce qui me gêne, c’est que c’est devenu un terme fourre-tout dans lequel on met tout et n’importe quoi.

C’est dans la rue ? C’est fait sans autorisation ? C’est fait avec des sprays ? Street art !

Le gars qui repeint son vélo sur le trottoir avec une bombe de peinture, il fait du street art ? Et la pseudo street cred graffiti que certains s’inventent pour coller aux clichés parce que ça fait bien chez le galeriste alors qu’ils ont posé trois tags et collé douze stickers me fait bien rigoler aussi.

Pour moi le Graffiti et le street art, c’est deux trucs bien différents. Il y a sans doute des similitudes entre les deux, beaucoup de graffeurs basculent dans le street art, les deux cohabitent plutôt bien ensemble –ce qui facilite aussi la confusion- mais pourtant le Graffiti, c’est pas du street art. Il parait que j’ai une vision sectaire du Graffiti. Pour moi, s’il n’y a pas de lettres, c’est pas du Graffiti.

Des projets ?

Dans le Graffiti, pas particulièrement. Si on me propose des trucs qui me tentent je dis évidemment oui, mais je ne cours pas après non plus. Si y’en a, tant mieux, sinon tant pis. Sinon, continuer à peindre des trucs qui me bottent, de bonnes lettres avec de chouettes couleurs. En résumé, faire des trucs qui me plaisent.

Une anecdote ?

J’ai grandi à côté d’un petit dépôt de trains. Gamin, j’allais souvent jouer dedans. Pourtant, quand j’ai commencé à graffer, je n’y suis jamais allé. Tout simplement parce que je ne savais pas que les trains se peignaient. Je pensais que tout se passait dans la rue et que c’est là que le Graffiti devait être. Quand j’ai finalement compris qu’on peignait aussi les trains, ce petit dépôt ne servait plus, la SNCB ayant décidé de ranger les trains dans un gros dépôt situé cinq kilomètres plus loin.

Un dernier mot ?

A ceux qui m’aiment, à ceux qui me détestent, c’est pour vous. Moi aussi, je vous aime.