Actif depuis près de trente ans, Oker est un incontournable du graffiti anglais. Trainiste averti dans les années 90, c’est après un long passage à New York qu’il revient avec un appétit décuplé pour le bombing, façon Jaone. Définitivement converti, Oker répète les deux lettres de son throwup de manière compulsive. Pas de temps pour les fioritures ou les effets de style. Pour lui, le graffiti c’est avant tout marquer son nom partout, le plus possible… ce qui lui apporte inévitablement son lot d’embrouilles et un passage par la case prison.

Quand Dels et Oker font équipe, ils forment un duo sur lequel il faut compter : motivés, implacables et avec une tonne de style. A l’évocation des ses pièces les plus anciennes, Oker déclare invariablement : « j’essayais de faire quelque chose qui ne me ressemblait pas ». Encore aujourd’hui, pour la plupart des graffeurs anglais, ses graffs sont historiques, les photos sont précisément décortiquées pour analyser les lettres, les connections et les combinaisons de couleurs de ses graffs. Bien qu’il reste une énigme pour beaucoup, il  se livre aujourd’hui et partage avec nous ses prises de position radicales.

Rencontre avec le phénomène, entre deux throwups sur les stores parisiens.

Est-ce que tu allais souvent en rave party ?

Je me souviens de Ray Keith, à l’époque je trainais déjà dans les raves. J’y allais fin des années 80, début des années 90 avec ma sœur qui a dix ans de plus que moi. Quand j’avais à peine quatorze ans, on me refilait plein d’acides. On allait partout en teuf. Mon pote vivait à Woolwich, il pouvait capter la station de radio du Centre Force. C’était l’époque ou Fabio et Grooverider étaient des DJs résidents sur Rage, ils passaient des disques tous les jeudis soirs. C’était avant qu’ils soient célèbres dans les années 90, ça tuait. Je n’étais pas trop dans le délire des free parties, mais c’était toujours synonyme d’aventure. Je me souviens d’une de ces missions, les flics avaient fermé les tunnels de Blackwall et de Rotherhite. Il y avait des convois avec plein de gens, c’était fou. On s’était retrouvé au rond-point de World of Leather ou plein de gens se donnaient rendez-vous. Au croisement suivant, il y en avait encore. Ainsi de suite jusqu’au champ où se déroulait la fête. Au début, les gens ne buvaient que de l’eau. Mais à partir de 1992, il suffisait de porter une paire de Wallabies violette pour se faire passer pour un raver. C’était le début de la fin. C’est un peu snob, mais je me suis senti dépossédé d’un truc. Je me suis remis au graffiti en 1991 avec Oker comme blaze. J’ai passé quelques années sous acide mais j’avais toujours un marqueur en poche. Ce que j’adorais faire, c’était prendre un acide, puis une heure ou deux plus tard je gobais une pilule. Je n’ai pas trop de séquelles, mais on se défonçait vraiment pas mal à ce moment là. On passait notre temps dans un Parc National à faire des feux de camps tout en prenant de l’acide. La dernière fois que je m’y suis rendu au début des années 2000, j’ai passé la nuit à dessiner avec Del et Akt.

Je connais pas mal de gens qui ont eu un parcours inverse, qui ont commencé à peindre, ont eu des problèmes et qui se sont mis à aller en teuf et à prendre de l’acide.

Je suis plutôt content d’avoir survécu à ce parcours. De nombreuses personnes que je connais sont tombées dans l’héroïne, ça les a tuées. Chasser le dragon rend les gens violents, ça les détruit. Il n’y a pas de fin heureuse avec ce genre de truc. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un à qui ça a réussi.

Comment tu t’es mis au graffiti ?

Je me suis intéressé au graffiti cinq ans avant de commencer à en faire, vers 1985. Furi était mon baby-sitter. J’étais en admiration devant lui et ses potes. A l’époque ou 50£ représentaient beaucoup d’argent, il portait une paire de Diadora à 50£, il avait une dizaine de polos Lacoste, il avait un pur style et il taguait. Ces gamins m’ont pollué l’esprit. Furi m’a filé vingt pages de Subway Art et un exemplaire de Getting Up. Je n’arrivais même pas à recopier leurs sketches. J’ai encore quelques blackbooks dont certains de Grace et Prime. C’est comme ça que je m’y suis mis, j’ai vraiment commencé à peindre en 1988. j’ai peint mon premier train en 1988/1989 avec Petro, qui signait Hash à l’époque. C’était avant que je pose Oker. J’ai rencontré par la suite Skore, très actif à l’époque. Dome et lui avaient fait toutes les têtes des trains, cela a eu une énorme influence sur moi. J’ai rencontré Eneme en 1990, il trainait du côté de chez moi. Il m’a emmené dans le dépôt de Tornbridge, je le remercie pour ça. La première fois, j’y suis allé avec Soge, Eneme et Carve. Avant ça je n’avais tapé que quelques fois le dépôt de Redhill. Je suis devenu accro. En 1992, Furi venait de mourir, je cherchais un tag. Il m’avait filé une bombe Buntlack, un jaune ocre. J’ai pris ce nom là, pas comme c’est épelé (ochre) mais comme ça se prononce. Mon frère ainé m’avait ramené Subway Art et Spraycan Art des États-Unis, mais aussi plein de photos des rues du Queens, de throwups sur les métros. C’était en 1989. Plein de trucs qui tuaient, des gars dont je n’avais jamais entendu parler. Quand je regarde ces photos maintenant, je reconnais pleins de noms, mais à l’époque je n’y connaissais rien. D’une manière étrange, je tague encore à cause de mon frère. Il est une des raisons principales pour lesquelles je peins encore.

Faire du graffiti est souvent un moyen d’échapper à la tristesse.

Ça permet de s’évader. Une fois la clôture franchie pour entrer dans un dépôt, ou sur des voies, les soucis sont mis de côté. Tout ce qui importe dans ces moments là, c’est de faire gaffe au troisième rail, finir ma pièce et ne pas crever. C’est la même chose qu’à l’époque où j’ai commencé, je ne me souciais plus de mes problèmes de famille, c’était de l’auto-médication. Plus tu as des galères dans la vie, plus tu graffes. Ce n’est pas un état d’esprit je-m’en-foutiste, il s’agit de soulager la douleur. C’est comme de l’art-thérapie. C’était peut-être ça ou se camer. Je ne sais pas, quand j’étais gamin, il y avait encore beaucoup de gens qui sniffaient de la colle. C’était la merde. Le graffiti m’a causé plein de problèmes mais il m’a aussi sauvé la vie, je lui dois beaucoup.

C’est quelque chose de créatif. On s’est tous déjà fait serrer pour vandalisme, mais j’essaie toujours de créer quelque chose que je trouve beau. Même si c’est un throwup OK, je pense que c’est beau. Il se peut que ça ne plaise pas, mais c’est une question de goût. Si j’étais un vandale, je casserais les vitres et les trains ne rouleraient pas. Mais je veux qu’ils roulent, je veux qu’on voit mes pièces tourner. Quand j’arriverai au Paradis… Dieu saura que ce n’est que l’amour. Il n’y a pas d’intention malveillante, j’essaie juste de créer quelque chose que j’aime.

Tu ne peignais que des trains à l’époque ?

J’ai posé Oker de 1992 à 1995. Je me suis fait serrer plusieurs fois et j’ai arrêté d’utiliser ce blase. Je ne peignais que des trains. Mais je ne me suis jamais fait serrer en flag. J’ai commencé à utiliser d’autres noms au moment ou j’ai rencontré Eine. Je ne me souviens plus de tous les noms que j’ai pu peindre. Je suis allé en prison en 1999/2000 pour possession de peinture. J’en suis sorti et j’ai recommencé à peindre en utilisant Oker. Tant qu’à me faire serrer autant que ce soit avec mon nom.

Quand as-tu rencontré Eine ?

J’ai rencontré Eine en 1990 dans un endroit appelé The Grasshopper. C’était une sorte de club, boite de nuit. Le jeudi, il y avait du hip hop et de la House. Kate Moss y trainait avec ses potes. Une des copines de ma sœur passait du temps avec elle. Eine était souvent dans le coin, super looké. Je devais porter une paire de Jordan à l’époque, rien de fou. Il fréquentait des gens avec lesquels je peignais, Brame, Regret. C’est comme ça que j’ai rencontré Soge, Mass, Mafia2, Strobe, Haste… Plein de gens dont vous n’avez certainement jamais entendu parler. En 1992, je l’ai rencontré par le biais de Spike qui a un peu lâché l’affaire par la suite. On a donc fait équipe avec Eine. On a fait plein de wholecars et de panels ensemble. Grâce à lui, j’ai rencontré Elk, Nema et Heal, un de mes meilleurs potes. Pendant un temps, c’était facile, il n’ y avait que très peu de gens qui peignaient des trains. On pouvait facilement savoir qui faisait quoi. On pouvait tous se retrouver pour aller peindre dans un spot. Ce n’est pas comme aujourd’hui où la situation est hors de contrôle. Avec Eine, on s’est fait serrer plusieurs fois. On peignait beaucoup. J’ai rencontré Banksy pour la première fois avec lui. Eine était vraiment un bon partenaire, on est resté proche jusqu’à la fin des années 90.

Pourquoi avoir fait une expo en sortant de prison ?

Quand je suis sorti de prison, on m’a proposé de faire une expo, mais j’étais un peu déprimé. Je ne voulais surtout pas faire des throwups sur des toiles. C’est un truc d’amateur, ça ressemble vraiment aux projets d’école pour les gamins. Je n’ai jamais aimé ça. J’ai donc fait des lettrages en bois, à la main. Je voulais que ce soit quelque chose de beau. Je voulais que les gens aient envie de les toucher, que les graffeurs voient le lettrage mais aussi que ceux qui ne peignent y voient un bel objet. Il y en a certains qui abandonnent le graffiti pour peindre des portraits ultra réalistes, mais je ne suis pas de ce genre. Si je fais des choses, je veux qu’on puisse lire Oker. Je ne suis jamais allé en école d’art mais je veux fabriquer des objets cool avec mon lettrage.

Que penses-tu des gars qui s’inventent une carrière de graffeur ?

Voilà ce que j’en pense : tu as peint en 1989 pendant un an ou deux et tu as lâché l’affaire pour t’y remettre vingt ans plus tard, mais cela ne fait pas de toi un graffeur qui a une expérience de vingt ans. Tu t’y es peut-être intéressé pendant vingt et une années, comme de nombreuses personnes qui n’ont jamais peint. Mais, ils ne se prétendent pas être graffeurs pour autant. Je peins depuis longtemps, j’ai été un toy pendant un certain temps, mais j’étais actif. Le graffiti a beaucoup évolué, ces gars ont une conception très naïve de tout ça. Ils n’ont aucune idée de ce qu’est le graffiti, ce n’est plus la même chose. Je n’ai rien contre eux, mais ce que je n’apprécie pas, c’est qu’ils essaient de réécrire l’histoire. Moi, j’étais là. J’étais peut-être spectateur mais je sais qui a fait quoi. Tout ceci est très sélectif, il suffit de ne pas avoir été avec les bonnes personnes au bon moment pour qu’on vous oublie. On n’entend jamais parler de gars comme Cherish, il a tout tué avec au moins cinq noms différents. On n’entend jamais parler non plus des pièces des années 90 de Carl, ou de son wholetrain No amount of buff can cleanse our souls. Ces choses ont été oubliées parce qu’ils n’étaient pas dans un crew cool, ou alors parce qu’ils n’étaient pas avec des gens qui sont désormais sur le devant de la scène.

On déforme tellement l’histoire, ces gars sont tellement prétentieux… C’est incroyable. Chino dit que ça a commencé à se produire à New York au début des années 2000. C’est comme si certaines personnes étaient coincées dans une époque, ils sont juste amers, c’est comme ça. Ils prétendent mériter une certaine fame, ils se prennent pour Billy ou Iz The Wiz. J’adore la période old school. Personne ne me voit comme un gars old school parce que je suis toujours dedans. Je me souviens de certains d’entre eux, de leurs débuts et du moment ou ils ont arrêté. En fait, ils n’en ont pas fait tant que ça. Je ne suis pas dans la catégorie old school parce que je me bats toujours pour la cause, il n’y a pas de reddition possible.

Je ne comprends pas vraiment ceux qui font leur comeback dans un Hall of Fame.

Si tu fais ton comeback dans un Hall of Fame, pourquoi pas, si tu le fais bien. Mais tu ne peux pas donner ton avis sur un jeune qui éclate des arrêts de bus avec son throwup, parce qu’il est plus graffeur que toi. Même si ça fait vingt ans que tu peins dans un Hall of Fame, ce n’est pas pertinent. Cela n’a pas d’importance, ce n’est pas du graffiti. Quand je peins dans un Hall of Fame, je fais de l’aerosol art, mais ce n’est pas du graffiti. C’est un lieu où je m’entraine pour pratiquer mon hobby. Tu peux faire la pièce la plus vilaine du monde, mais si je vois tes tags partout, je te considérerai plus que le gars qui fait une pièce mortelle dans un terrain. C’est ça le graffiti, en faire le plus possible. C’est pourquoi je pense que les mecs qui peignent des trains ne sont pas des graffeurs. A un moment donné, j’étais de ceux là, tout le monde passe par cette phase. Mais donne moi du rouge, du noir, du chrome, du blanc et du bleu clair, autorise moi à ne faire que des tags et des throwups pour le reste de ma vie et je serai heureux. On n’a vraiment pas besoin de tout le reste.

Il y a un officier de la British Transit Police très connu avec lequel de nombreuses personnes ont eu à faire. Je peux assurer qu’il était plus obsédé par le graffiti que la plupart d’entre nous.

Quand je me suis fait serrer, l’inspecteur qui menait mon audition portait un t-shirt Banksy. C’était irréel, j’aimerais bien le revoir. La police devrait en faire sa mascotte. Je pense qu’il s’est fait maltraiter par des graffeurs quand il était gamin. Je n’aime pas les flics, mais il y a une différence entre ceux qui font leur job et ceux qui tentent à tout prix de ruiner la vie des gens. Celui là, c’était un vrai connard. Je ne vais pas dire que les autres étaient cools, mais en vieillissant on comprend quand une personne fait juste son boulot. Le travail de ce naze, c’était de me niquer. Mais quoiqu’il arrive, si tu te fais serrer, c’est de ta faute. Quand ils m’ont arrêté, c’était pour 14 millions de £ de dégâts. Une somme incroyable. Ils avaient monté un dossier depuis 1994. Ils ont essayé de faire pression sur un de mes codétenus avec lequel je partageais ma cellule en 1999. Ils sont allés le coincer pour essayer de se renseigner sur moi, il n’avait pas peint depuis près de dix ans. Liberté totale ! De toute évidence, il n’a rien dit. Ils étaient juste horribles.

On parlait précédemment d’embrouilles que toi et Del avaient eu au début des années 2000 avec un autre crew.

A l’époque, je ne trainais qu’avec Del et quelques personnes. Je pense sincèrement qu’on n’était pas à l’origine de toutes ces embrouilles. L’un d’entre eux a commencé à nous repasser. Enfin je pense, parce qu’avec Del, on ne sait jamais. Il jure ne pas avoir commencé, donc je le crois, c’est mon pote. Même s’il a tort, je suis de son côté. Donc, l’un d’entre eux nous repasse, Del le repasse, et ainsi de suite. Le problème, c’est qu’à un moment, l’autre gars a posé le nom de son crew sur nos pièces, ce qui voulait clairement dire que toute son équipe se sentait concernée, une sorte d’intimidation. A peu près au même moment, leurs potes de Peckham ont commencé à me repasser, pareil dans les coins de Croydon, de Clapham et du Nord de Londres. C’était le début des années 2000, ça a juste explosé. Les gars de différents crews se sont véritablement ligués pour se débarrasser de nous. A Croydon, ils se sont amusés à écrire des trucs sur mes pièces et sur celles de Elk et Carl123, sans aucune raison. A partir de ce moment là, on a tout repassé avec Del. C’était un moment vraiment cool, j’ai adoré. Sans ça, j’aurai commencé à m’ennuyer. On traquait tout ce que les autres faisaient, dans les dépôts, le long des voies. Je repérais les trains qu’ils peignaient, je savais dans quel spot ils allaient. Je ne sais pas quelle année c’était, mais on s’est dit qu’on irait en mission tous les samedis soirs.

C’est parfois un problème d’interprétation.

Les gens prennent les choses de manière très personnelle alors que c’est juste du graffiti. Bon, c’est vrai que ça l’était parfois, mais je n’ai pas gardé de ressentiments. Ce qui me mettait en colère, c’est que j’avais l’habitude de faire des séries de throwups qui étaient régulièrement repassées par des pièces en chrome. Mais ce n’est pas parce que c’est des throwups que tu peux me repasser. Ce n’est pas que je ne sais pas faire de pièce, je voulais juste que ça ressemble à ça. Si je vois un tag de Robbo, je ne le repasse pas. Certains pensaient que je leur faisais de la place en peignant uniquement des throwups. Ce qui fait que j’ai eu aussi pas mal d’embrouilles avec ce genre de personnes. Je pense que c’était délibéré, il s’agissait de nous faire disparaitre Del et moi. Aucun d’entre eux n’avait vraiment de problèmes avec nous, on était victime d’intimidation. Ils sont où tous ces gars maintenant ? Bloqués dans leur Hall of Fame, ou alors ils ont arrêté de peindre. Ce qui était bien, c’est que je pouvais peindre dans le Sud de Londres où tout le monde me détestait. Quand ils montaient dans le train pour voir leurs pièces minables, ils se rendaient compte que nous avions flingué la ligne avec nos throwups. Les photos de ces actions sont très belles, j’espère que c’est ancré dans les mémoires. Je n’ai vraiment rien contre tout ceux qui m’ont repassé, ils semblent être bien plus affectés que moi dans l’histoire. J’ai oublié, je suis passé à autre chose, je m’en fous.

 

C’est parce qu’ils ont arrêté de peindre et que tu as continué, ils sont nostalgiques.

Mais pourquoi s’amuser à me repasser si tu ne veux pas que tes pièces disparaissent ? Ne pense pas que tu es un dur parce que tu es avec une équipe de vingt personnes. Vingt personnes avec six bombes de peinture ne font pas le poids face à nous deux avec quatre-vingt bombes de peinture. On va t’éliminer. La peinture, c’est le pouvoir. Peu importe qui tu es, que tu te balades en tank. Il ne fait pas de tags ton tank, je vais le peindre ton char d’assaut.

Comment as-tu rencontré Banksy ?

J’ai rencontré Banksy avec Eine au Dragon Bar sur Leonard Street. C’est un gars sympa. La dernière fois que je l’ai vu, il était avec sa petite amie, je peignais avec Shogi et Bice.

Comment se fait-il qu’il t’ait offert une toile quand tu étais en prison ?

Quand je me suis pris vingt-six mois de prison ferme, j’avais mes deux gamins et une hypothèque je ne pouvais pas payer. Drax et Charlie de Pure Evil ont organisé une collecte de fonds. Reas, Twist, Kr, Jaone y ont participé, c’était dingue. Je ne pourrais jamais assez les remercier. Un jour, je reçois une lettre de l’un des membres de l’équipe de Banksy qui m’annonce qu’ils veulent me filer l’argent de la vente d’une toile. Ils ont mis un prix plafond pour l’œuvre qu’ils ont vendue à Amsterdam et m’ont ensuite reversé la somme perçue.

Comment as-tu rencontré Del ?

J’ai rencontré Del quand il posait Muzzle et qu’il taguait Fuck partout. Il faisait du skate à l’époque, il a rendu fou tous les skaters qu’il fréquentait, il avait besoin de se trouver de nouveaux amis. Il m’a toujours motivé à peindre. C’est mon partenaire préféré, il est facile à corrompre. Ce n’est pas vrai, il n’a jamais eu besoin de moi pour faire des conneries. Il est juste un peu fou, mais il n’est pas stupide. Il aurait pu utiliser son intelligence à mauvais escient, c’est juste un très bon graffeur.

Ses graffs en 2000/2001 étaient dingues.

Oui mais maintenant il refuse de faire des graffs. Pourtant il est vraiment bon. Il m’envoie régulièrement des blackbooks remplis de sketches, mais ça ne lui dit plus rien de peindre, il est trop paresseux.

Quand et pourquoi es-tu allé à New York ?

J’y suis allé la première fois en 1996 avec Spike, c’est comme ça que j’ai connu Chino. Cette rencontre a tout changé pour moi. J’étais avec une chanteuse latino du groupe Marshall Jefferson. Je faisais régulièrement des allers-retours. j’ai appris à connaitre Chino au fil des années. Pendant plusieurs années, il ne savait pas vraiment que je peignais autant. J’ai rompu avec cette fille en 2001. Puis curieusement, ma nouvelle copine s’est installée à New York, on y est resté un moment. C’est là que les choses ont décollé. Chino a vraiment changé mon point de vue. Il m’a vraiment introduit au graffiti. En 1999, j’avais l’impression de savoir de quoi je parlais, j’avais déjà pas mal peint. Mais après avoir rencontré toute cette équipe, je me suis rendu compte à quel point j’étais un toy. Je me prenais la tête à dessiner des lettrages pendant plusieurs jours, alors que leurs throwups tuaient. J’ai rencontré Jaone, Skuf, Veefer. Je suis rentré BYI en 1997.

Ta manière de taguer se démarquait vraiment à une époque ou tout le monde ne faisait que régurgiter les styles londoniens.

Comme je le disais, j’ai été contaminé par du vrai graffiti. Chino en est la cause, il m’a présenté des gens influents. C’était étrange, j’ai peint mon premier train en 1988, j’ai passé dix ans à peindre d’une certaine manière et je me suis retrouvé à tout réapprendre, à tout reprendre de zéro.

Tu avais déjà certaines compétences.

Je devais me débarrasser de tout ça. En Angleterre, on s’impose des règles, il m’a fallu des années pour liquider tout ça. C’est tellement plus agréable de peindre avec un esprit ouvert. J’aime que mes graffs soient différents. Les blackbooks de certains gars sont remplis de pièces toutes identiques. Je préfère faire une mauvaise pièce plutôt que de répéter toujours la même. Le problème à Londres, comme ailleurs, mais je n’en suis pas sûr, c’est que les gamins veulent tous se ressembler. Si le king ne répète qu’un lettrage, pourquoi essayer d’en faire plusieurs ? La scène anglaise est insulaire, elle ne se soucie pas de ce qui se passe ailleurs en Europe. C’était encore pire dans les années 80 et 90. Il y a des trucs qui apparaissent sur internet et qui récoltent trois millions de likes. Mais ailleurs, ce ne serait qu’une merde de toy. Je ne veux pas qu’on pense que j’ai la grosse tête mais je veux être reconnu à plus grande échelle. Ce qui se passe en Angleterre est trop rigide, il y a trop de règles imposées comparé à ce que Reas peut faire avec son style incroyable.

C’est comme Ghost, quand j’ai vu ses graffs pour la première fois, ça m’a marqué.

Au moment ou j’ai commencé à peindre, je pense que je n’aurais pas aimé les pièces de Ghost. On doit arriver à un certain niveau de maturité pour comprendre ce qui se passe. Je pense que les gens n’ont pas assez affuté leur gout pour apprécier ce genre de graffiti. Il ne s’agit pas de peindre de manière technique pour des gars comme Ghost. Ils savent le faire, Reas peut faire des wildstyles qui défoncent tout. Son lettrage aura une structure appropriée, mais ce ne sera pas camouflé par des connections stupides entre les lettres. Il faut avoir un bon niveau en dessin pour pouvoir déconstruire. Je dois paraitre snob ou prétentieux, mais je ne le suis pas. J’ai eu la chance qu’on m’ouvre les yeux.

Est-ce que c’était le moment de la révolution du throwup ?

Ils m’ont infecté. Quand je suis revenu de New York, c’est comme si je n’avais jamais peint auparavant. Les gens me disaient qu’ils préféraient mes anciens trucs. Mais je déteste mes vielles pièces, c’est tellement toy et ce n’est pas moi. J’ai une approche totalement différente désormais. je n’essaie pas de faire à la manière de, je fais c’est tout.

Effort minimum, satisfaction maximum.

Comme la méthode Cap.

Je l’ai rencontré et je lui ai dit ça, mais il n’est pas vraiment d’accord, ce n’est pas sa mentalité. Il essaie juste d’être le plus efficace possible. Toutes ces règles idiotes que j’ai ramenées d’Angleterre n’ont aucune valeur. Elles ont été inventées par des gars qui avaient peur d’être dépassés. Il n’y a pas de règles, c’est ce qui en fait quelque chose de cool. Tu peux faire ce que tu veux.

Del et toi, vous avez été les premiers à faire des throwups de deux lettres sur les trains.

Quand je me suis remis à peindre en 1997, Del commençait à peine. Il n’aurait jamais fait une pièce. Avec dix bombes de peinture, combien de throwups peut-on faire ? Il s’agit d’en faire le plus possible, c’est ça le graffiti. Ce n’est pas autre chose. Avant j’étais uniquement passionné par les trains. Mais maintenant je préfère faire des throwups. J’en fais encore de temps en temps, mais ça me gonfle vite.

C’est très différent de peindre des throwups et des panels.

Entrer dans le dépôt, y passer une heure pour faire une pièce qui fait la moitié d’un wagon – waouh – Tout ce qui sort du dépôt doit être peint. Avec Jaone, on a fait dix sept wholecars en une nuit, la suivante on en a fait vingt. Juste des remplissages en top to bottom. Dans le premier spot, il y avait des panels, on a tout repassé et on a utilisé six litres d’encre pour faire les intérieurs. C’était quelque chose de magnifique. Quand tu commences à faire des throwups dans un spot, tu ne t’arrêtes pas, ça ressemble à des bonbons plein de couleurs. Il faut faire toutes les rames. Tu te sens puissant. Comme je l’ai déjà dit, quand je regarde mes photos des années 90, ça ressemble à de la merde datée. Mais si c’est des photos de throwups, c’est de la destruction, ça n’a pas pris une ride.

Il semblerait qu’à Londres tout le monde a un throwup de deux lettres maintenant.

Quand j’ai commencé à en faire avec Del, c’était considéré comme un truc de toy. Tout le monde préférait faire des fissures et des effets de lumière dans un style classique. Del l’explique bien : « il n’y a pas de cassures dans nos trucs, parce qu’il n’y a pas de défaut. Notre graffiti n’a pas de point faible. » Je pense qu’on a poussé certaines personnes à faire comme nous parce qu’elles ont réalisé qu’elles étaient dépassées. Cela ne leur servait à rien de faire leurs pièces sur nos throwups, il n’y avait pas de compétition possible.

Arxs est en partie responsable du retour du throwup à deux lettres.

C’est dommage, on s’est un peu raté. Je ne le connaissais pas autant que maintenant. Il est très cool, on a peint quelques fois ensemble. Je remercie Ofske de m’avoir poussé à m’y remettre.

Il a vraiment eu un gros impact.

C’est un gars que j’aime bien. un gars normal qui n’essaie pas d’être cool. Il adore le graffiti et il peint à fond. Sime l’a rencontré en premier et il m’a dit que c’était un gars bien. J’ai fait sa connaissance par la suite et j’ai pu le constater. Il ne se pose pas de questions, il peint. C’est vraiment un puriste.


C’est un peu la folie en ce moment à Londres, il y a plein de trains peints qui tournent.

J’aurais aimé participer à tout ça. C’est un sport de jeune maintenant. C’est cool de voir les graffs circuler, y compris pour les gens lambda, le graffiti n’est pas mort. Pendant un moment, plus rien ne circulait. En 2009, c’était mort. Il devait y avoir moins de gens actifs et un plus gros budget pour la sécu et le nettoyage. Je ne sais pas ce qui se passe. Ils se disent peut-être qu’ailleurs en Europe les trains peints circulent et que cela ne pose pas de problèmes. Quand British Rail était aux commandes, c’était peut-être pris plus au sérieux. Quelque soit le pays, y compris aux États-Unis, tout est défoncé. C’est très beau.

On parlait un peu plus tôt de la mentalité machiste qui règne dans le graffiti.

Je ne sais pas si les graffeurs se prennent pour des super héros ou pour autre chose, mais au final, ce n’est que de la peinture. C’est un truc de hippie qui prend de l’acide et qui s’amuse à mettre de la couleur partout. C’est une drôle de mentalité de penser être un dur parce que tu as fait quelques panels. C’est ridicule. Certains y croient vraiment. Si tu veux être un vrai dur, braque une banque. Mais fais autre chose, c’est facile d’être un dur dans le monde actuel. En plus, je ne vois pas à quoi ça sert d’être un dur si tu ne sais pas voler de la peinture. C’est difficile à expliquer mais c’est vraiment quelque chose qui détruit l’esprit du graffiti.

Cette mentalité s’accompagne d’un certain je-m’en-foutisme au niveau du style. Ces gars peuvent faire peur à certains, pourtant dans n’importe quel bar, ils se font bousculer comme les autres. Mais dans l’univers du graffiti, ils agissent comme des brutes, ils essaient de s’affirmer, je ne sais pas pourquoi, mais ils ruinent l’état d’esprit du graffiti et ils ne s’en rendent même pas compte. Il ne s’agit pas de faire le méchant. Le graffiti, c’est juste fait pour se marrer. C’est un truc stupide de faire des graffitis à la bombe. Se cacher dans les buissons, courir, c’est une petite aventure. D’une certaine manière, c’est refuser de vieillir, comme Peter Pan. Je vois des gens de mon âge et je me demande ce qui leur est arrivé. Ils ont l’air vieux, ils sont résignés. Ils ne pensent qu’à payer leurs factures et à leur job. Quoiqu’il en soit, on a besoin de tout faire pour ne pas stagner intellectuellement. Le graffiti est une solution, ça permet d’être créatif, on peut en retirer quelque chose. Même si c’est juste faire des tags.

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