Une centaine de graffeurs, pas d’autorisation, les Gilets Jaunes en renfort pour donner un coup de pouce, une descente de police… Bref, la récente Jam Sauvage organisée pas loin de Bordeaux portait bien son nom !

Rencontre avec les instigateurs, Soke et Eggs.

Présentez-nous un peu l’événement…

On a fixé la date aux 9 et 10 mars 2019 sur le terrain d’un ancien centre commercial, en friche depuis une douzaine d’années. A la base on est deux à porter l’initiative d’une jam à la sauce Do It Yourself. Le projet a emballé les Gilets Jaunes de Trélissac, fraichement débarqués sur le spot pour en faire leur QG. Du coup ils nous ont apporté un soutien logistique et humain. Il faut le dire, sans la motivation et les réseaux de certains des membres du mouvement citoyen, on ne pense pas que que cette jam aurait eu lieu. C’est quand même une première pour une ville comme Périgueux; dans les bureaux de l’administration, il y a des fesses qui applaudissaient : quelle type de zoulous vont débarquer ? Pour finir, un gros coup de pouce de la scène locale pour apprêter les murs : Neur qui nous a sorti 150 litres de peinture de récup, Gren, Amec, War, Croner pour les coups de rouleaux…




En 2019, à l’heure des festivals de façades, difficile de monter une jam Graffiti ?

Non c’est même plus facile. Pas de réunion, pas d’histoire de financement en suspend parce qu’untel n’a pas mis la virgule au bon endroit, pas de problème de commission de sécurité parce que ce caillou dépasse 2 cm de diamètre. C’est pas vraiment comparable d’ailleurs. On était sur une orga autogérée, certains GJ (gilets jaunes) nous ont apporté leur expérience et leur expertise, chacun savait ce qu’il avait à faire, chacun a fait selon ses propres moyens et nombreux sont ceux qui en ont fait plus que nécessaire. Une belle preuve que lorsqu’on responsabilise les individus, chacun est nettement plus épanoui et performant.

  

Donc le Graff résiste face au grand méchant Street Art ?

Comme tu le vois, plutôt pas mal ! Plus sérieusement, ça provoque toujours des débats entre nous. Nous ne sommes pas trop dans une vision manichéenne en mode « le Bon, la Brute et le Truand». Disons, à notre titre, on ira pas nourrir un marché qui spécule sur le mouvement. Puis à force de siphonner cette culture, elle finit par être vidée de son contenu au point qu’elle finira empaillée dans un musée comme toutes les cultures vivantes qui passent sous le prisme marchand pour divertir les salons feutrés. Après, les actes parlent d’avantage. Nous on s’en tape, on a fait un délire qui nous ressemble. Du coup, on garde l’essentiel et, franchement, quand tu vois le nombre de graffeurs qui se sont déplacés sur leurs propres deniers, dans une petite ville de campagne paumée, pour péter du mur avec de la lettre ou du perso – à la spray ou au pinceau – dans le seul but de partager ensemble un pur weekend, j’ai envie de te dire, c’est le Street Art qui devrait s’inquiéter pour sa pérennité !

… à force de siphonner cette culture, elle finit par être vidée de son contenu au point qu’elle finira empaillée dans un musée comme toutes les cultures vivantes qui passent sous le prisme marchand pour divertir les salons feutrés.

Parlez-nous un peu du line-up réuni cette année.

Au départ, on ne savait pas trop où on allait alors on est restés prudents. Après avoir calculé la capacité d’accueil du spot, on a créé un évènement privé sur Facebook puis commencé à inviter des amis, ensuite les connaissances, et après c’est l’effet boule de neige. Mais tu sais, c’est un petit milieu, on se connait tous plus on moins, et quand on s’est pas croisés sur un mur ou un événement, on se surveille sur les réseaux… Donc ça s’est fait de façon naturelle avec des writers de Nantes, Paris, Saint-Étienne, Montpellier, Toulouse, le Puy-en-Velay. De belles équipes : GEK , ODV, TWP, TGC, VFL, A2M, T1K, FULLCOLOR, SAC, 3GC, IBS, LCD, GB SWP, WSK , VEC, 5,7 et même la présence d’un membre du crew BAMC.
Niveau son, L’association locale C2H, et le collectif bordelais Onairconnexion ont mis l’ambiance. On a eu droit à un gros freestyle de Colfer et Persu. A ça s’ajoutent la sécurité, le catering, le barnum – prêté par la mairie, c’est fort pour une jam non déclarée ! – le barbecue géré par les membres du mouvement citoyen qui nous ont apporté une organisation et une rigueur carrée. Et on n’oublie pas Ann Le Guyader, notre photographe officiel qui a fait un taff de fou.

108 graffeurs ? Pas trop dur ?

Mis à part un début de calvitie et les quelques plaques d’eczéma qui résistent, ça va… Non mais soyons honnêtes, les cheveux blancs c’est pas la centaine de graffeurs mais l’administration qui nous les a provoqués. Les participants ont été débordants d’énergie positive, imagine une centaine de personnes réunis autour d’une passion commune sur un terrain de jeu où tu leur donnes carte blanche. Naturellement, ils te le rendent au centuple, d’autant que tous avaient bien conscience qu’on était sur un événement officieux qui pouvait s’interrompre à tout moment. Donc nope, que du bonheur en barre !

Des coups de cœur, des coups de gueule ?

Ouais, des rencontres inattendues, un public au rendez vous alors que l’info a fuité deux jours avant. Malgré la pluie, une ambiance de dingue avec des peintres sur-chauds qui ont lâchés du lourd. Depuis Le 9 mars, le site rencontre une affluence quotidienne, des familles aux touristes curieux qui passent devant. Ça discute, ça visite, ça partage.
Durant la jam on a eu un gros moment d’émotion lors de la visite du père et de la grand-mère de DVIX (RIP), qui se sont déplacés de Bordeaux pour voir cet événement. Une pensée pour Spazm qui nous a fait l’honneur d’être présent avec une bête de prod. Trois semaines plus tard il partait sans prévenir…
Une anecdote : le préfet qui prétexte une plainte du propriétaire. Il appelle les forces de l’ordre pour nous évacuer le samedi matin à 7 heures. Une chance pour nous, la numéro 1 de la police du département est fan de peinture murale ce qui a bien aidé. Du coup, ils ont joué le vice de forme et les forces de l’ordre n’ont reçu ordre de bouger que sous décision du juge. Un coup de bluff, à 14 heures les échelles étaient sur les murs !


C’est quoi cette histoire de partage de spot avec les Gilets Jaunes ?

On est en janvier, les GJ se font gicler des ronds-points puis du terrain sur lequel il étaient. ils ont commencé à investir ce spot. Ça tombait bien, nous sommes également sensibles aux assauts répétés sur la dignité humaine. Après quelques discussions, on a décidé de mixer la culture graff et cette lutte sociale. Pour éviter tout amalgame, on a tout de suite préféré rester sur un thème libre. Ça n’a pas empêché les médias de dire ce que bon leur chante. Ceci dit, il faut le souligner, la réussite de cette jam est le résultat d’un travail commun qui mêle plusieurs générations : des compétences et des personnes de tous horizons et sans étiquettes particulières. Une putain d’aventure humaine qui, on l’espère, fera des petits !





Vous remettez le couvert l’an prochain ?

Si on te le dit, on devra te faire disparaître ! Un merci infini à tous les bénévoles, les participants, le public, tout ceux qui nous ont aidés et soutenues de loin ou de près.



Photos : Ann Le Guyader