Ancien instit’ dans un quartier difficile, j’ai découvert le dépôt par hasard. J’habite pourtant cette petite ville du Grand Est depuis 1962, mais j’ignorais l’existence de ce site. Seule une petite route passait par là, entre champs et forêt. Une courte échappée entre les arbustes et les hautes herbes laissait entrevoir quelques wagons graffés : les Shadoks, les Dalton, Nasty et son graphisme si particulier en lettres gothiques, Mank, Sheik. Tous des whole cars. Le reste du dépôt n’était pas visible. Nous étions en janvier 2019…

Par curiosité, j’y suis retourné dès le lendemain. Premières photos. Très vite, je suis monté dans les voitures. Quelle surprise ! La lumière du soleil révélait toute la beauté intérieure de certains graffs. Je n’ai plus lâché l’affaire. L’envers du décor me fascinait.

C’est justement ce qui m’a rapproché de ManksimeDrouet, rencontré un matin dans ce spot, méga appareil photo à la main, le visage et les bras constellés de petites taches de toutes les couleurs, et accompagné de Phot qui venait d’achever un magnifique Obkos tout en couleurs douces. Du coup plus de Roi Heenoks, qui y était encore la veille…

Avec Manksime, nous avons entamé la conversation. Oui, je prends les graffs en photo, mais ce que j’aime par-dessus tout, c’est l’envers du décor. Moi aussi, me dit-il. Je lui montre mon Instagram. Il n’en revient pas. Nous prenons les mêmes photos ! « Ça fait 20 ans que je graffe trains et métros et toi, en 2 mois seulement, tu as vu ce qui en fait la beauté intérieure. Incroyable ! ».

Sans doute à cause de mon âge et de mon allure, il m’a surnommé Marcel Pagnol. J’en ris encore. Plus tard, je lui donnerai un surnom : l’artificier, en raison de sa technique pour manier la bombe et le résultat qu’il obtient. Les bombes deviennent par là même de véritables œuvres d’art. Même les cailloux du balast deviennent beaux !

Grâce à la photo de notre rencontre, postée par Manksime, certains m’interpellaient par mon pseudo avant même que je ne les connaisse, comme ce fut le cas avec Mare. C’est d’ailleurs lui qui le premier a inscrit mon nom dans le nuage de son graff. Encore Merci.

Avant que je ne le rencontre, Mare avait graffé tout un wagon pour sa maman qui venait de décéder. J’ai trouvé ça beau. Et quand la rame est partie au démantèlement, ça m’a vraiment touché.

Dans le graff lui-même, je recherche avant tout l’homme, un p’tit signe qui humanise. En tout homme, il y a un cœur, même si une forme de violence peut parfois s’exprimer. Mais je n’ai jamais été déçu par tous ceux que j’ai croisés : Escar, Redy, Pekno, les MTM, Sam.son, Opsek, Swer, Maxime Montedimarciano, Nepo2, User79, Seti, Bakus, Valer, Pistwo, Horus, Enos, Naster, Decap, Puls, Lazi, seule femme rencontrée ici et que j’apprécie beaucoup. J’en oublie, bien sûr. Mais pas Sheik et BenoitStesi que je n’ai jamais rencontrés, mais dont j’aime le travail.

Certains, parmi eux, ne manquent jamais de m’annoncer leur venue. Ils se reconnaîtront, ils sont de la même région que moi. Ils invitent de temps en temps d’autres graffeurs. Le cercle s’agrandit. Je passe des heures à les observer. Dans une bonne ambiance. Toujours.

Sans être un fana du matériel SNCF, je n’y connais rien en machines, en rames, j’aime bien prendre en photo des petits détails colorés aléatoirement, comme les bouchons de sablière, les grilles d’aération, les plaques des fabricants, les poignées, etc., ça n’intéresse que peu de graffeurs. Mais qu’importe, je me fais plaisir.

J’aime moins le fret, je n’y retrouve pas ce côté humain. C’est brut, c’est le graff avant tout.

Tous les jours je vais sur le site. Faire le tour complet, monter et descendre le long des rames, ça prend du temps et ça maintient la forme. Surtout que, de temps en temps, je coupe quelques branches qui gênent le passage… Je tiens les graffeurs au courant de l’activité du spot, les rames qui arrivent, les rames qui partent au démantèlement, sans toutefois donner trop de précisions pour ne pas dévoiler la position exacte du lieu. C’est la consigne. Dès qu’un graff est nouveau, je le poste. Et certains graffeurs sont déjà à l’affût : ce nouveau graff ne recouvre-t-il pas celui de … ? Bon, passons.

Au printemps, un immense parc à moutons et à chèvres a été créé au milieu des trains. J’ai pris une première photo que j’ai postée, et que Drips a reprise… 728 likes ! Du coup, j’ai reçu des commandes pour prendre LA PHOTO : les moutons devant le graff du commanditaire ! Je l’ai fait avec plaisir, mais ça m’a pris du temps. Il m’a fallu plusieurs jours. D’abord couper les branches devant les graffs, habituer les chèvres à ma présence, les nourrir avec les feuilles de ces branches, contourner le troupeau pour pouvoir enfin prendre une photo. Tous ont été servis.

Plus de photos de Pap7 ici.
Interview : Hugo Vauthier.