Je suis né à Lyon. 1995, on est dans le sud, chez moi c’est pas la joie, papa est en prison. Je traîne tout le temps avec deux potes parisiens, frère et sœur, Xav et Élodie. Ils me parlent de skate, de graff et de leur pote Glue UV qui leur rend visite l’été avec Dok. Je ne connais rien au graffiti, mais tout ça me parle.

Sûrement pour impressionner Élodie, je commence à taguer en 1995. En 1999 je débarque à Aix et fais mon premier train seul. Au début je peins avec Basik NAM, et Sevy qui me fait faire mon premier métro à Marseille et entrer TCK en 2001. La même année, je rencontre Skeal et pose ADN en 2002. A l’époque avec Raze, on est souvent à Coma Sound Kartel à faire les cons chez Cheyen, quand on n’est pas à Aix pour péta. En 2004 avec Dech, ils nous font rentrer C4. Puis en 2005, Dok ouvre son shop et nous fait rentrer NWS avec Phix et Raze.

#1 Guet-apens à la lyonnaise


Ça faisait quelques jours qu’on était à Lyon avec Skeal et Rase et qu’on faisait les timides avec le métro. Ce plan là, je savais pas trop pourquoi mais je le sentais moyen. Cette nuit-là on s’enfonce dans un tunnel en pente, sans spray, pour checker un métro garé dans un virage. Tout est calme, on retourne à la voiture. Une heure plus tard, nous revoilà dans le tunnel, équipés cette fois-ci. On commence à peindre coté voies, Skeal en tête de gondole, Raze au milieu et moi tout au fond. Je remplis mon panel sur du Céline Dion qui arrive de la station toute proche, son qui se mêle à celui du troisième rail, surréaliste. Skeal termine le premier et commence les tofs au flash. Je l’entends prendre la photo et l’instant d’après il est derrière moi, et me dit à l’oreille alors que je suis encore en train de peindre : « A trois, on court « . Je tourne la tête et me retrouve nez à nez avec quatre mecs armés, cagoulés style GIPN à sept mètres de moi (le point blanc tout à droite sur la photo). On n’attend pas trois pour partir direct en mode Usain Bolt avec les gars dans les pattes, on manque de se vautrer plusieurs fois et de perdre Rase qui galère. Mais après s’être arrachés les poumons comme jamais, on parvient malgré tout à leur mettre vingt mètres et à arriver sur un pont après être sortis du putain de tunnel. Sans réfléchir on saute dans la rue qui passe dessous, la voiture est là. Je vais pour l’ouvrir, sauf qu’au bout de la rue déboule en courant une équipe de la B.A.C. A bout de souffle, on repart en 3000 mètres haies dans ce quartier qu’on ne connaît pas, alors que les bruits de marches arrières énervées et de sirènes se rapprochent. On a l’impression qu’ils sont quarante. On se sépare, sous la pression, je rentre dans un HLM, j’ouvre la porte d’un local poubelle et rentre dans la première en me cachant sous les sacs. De là, j’entends les mecs entrer dans le hall, ouvrir ma porte et… repartir. J’ai dû rester deux heures comme ça avec l’odeur horrible à attendre que ça se passe. Au lever du jour, j’étais refait, j’ai retrouvé les autres. Quelques années plus tard, on a appris que la police louait un appart dans un immeuble surplombant l’entrée du tunnel, en mode guet-apens.

#2 I could have put a bomb here


Ce jour-là, à Rome, on est une équipe de cinq à profiter d’un chantier pour entrer discrètement dans le dépôt de la ligne A, Agnanina, et vite se planquer dans un wagon. On attend vingt minutes que la sécu fasse sa ronde, et on se lance dans un whole train à quai de trente minutes. Skeal et Dam rentrent deux whole cars ADN, Sevy et Eroin leur noms et moi ce whole car. Des flammes graphiques avec la phrase « I could have put a bomb here » au milieu. En substance ça voulait dire qu’on pouvait faire n’ importe quoi ici, mais qu’on avait choisi de faire de la peinture. C’était il y a quinze ans… aujourd’hui, avec ce qui se passe, ça aurait pris une toute autre résonance et je ne pense pas que je l’aurais fait comme ça. On voit ce whole car dans Urban Vampirz 2, filmé par Rap.

#3 Eurostar galactique


Entre 2000 et 2002, j’ai beaucoup peint ce lettrage sur mur et sur train. Je suis tombé par hasard sur cet Eurostar italien à Milan en compagnie de Skeal. Sur le wagon de tête, il y avait une pub Thomson sur un fond galactique, je n’ai pas pu résister.

#4 Action Directe New York


En 2003, Fresk et sa cops me rejoignent à New York. Ça fait 15 jours que je suis là et je me suis déjà fait péter au dépôt de Flushing Meadows Park dans le Queens pour trespassing, en pleine parano post 11 septembre. Fort de mes quarante-huit heures de dépôt, six mois de sursis en comparution immédiate et d’une perquise par le Vandal Squad, je décide de jeter mon dévolu sur la rue. S’ensuit un mois de flops et fat caps dans Harlem et Manhattan ponctués de quelques prods plus colorées, comme ce mur fait à Brooklyn.

#5 Panel typique


Ce panel est typique de ce que j’ai fait sur train entre 2002 et 2006, un truc épuré avec trois quatre couleurs, un mot ou un chiffre différent à chaque fois et de temps en temps un perso. Je signe rarement à l’époque, ça reste facilement identifiable, le style c’est la signature. Dans tous mes graffs, il n’y a jamais de lignes courbes, seulement des constructions de lignes droites.

#6 La Capelette


Vers 2002-2005, quand il n’y avait rien à peindre, mon spot préféré à Marseille c’était la Capelette, avec ses rues murées désertiques et ses hangars pourris. On avait un peu l’impression d’être à Détroit ou dans Walking Dead avec en guise de zombies les toxicos du coin.

#7 Trains poubelles


Au centre de tout ça, la déchetterie et ses fameux trains poubelles, des containers qu’on peignait le week-end tranquille au sol et qu’on retrouvait en semaine sur wagons, en train de traverser la ville.

#8 Milan


Milan dans le dépôt de la ligne verte avec Skeal et Raze. Ce jour-là on n’a pas réussi à entrer dans le hangar, du coup on a quand même peint ce modèle mal placé sous les caméras, en speed. C’est de loin avec ces deux-là que j’ai été le plus productif pendant près de dix ans, on peignait tout le temps et ça fonctionnait bien. Skeal pour la détermination et la cogite, Raze pour la déconne et la péta et moi pour la parano. Souvent se rajoutaient Bern, Phix, Dam, Sevy ou Cesar.

#9 Rome


Rome 2005, avec Skeal, 64is et Tisko.

#10 Grillage


Quand tu te crois malin mais que en fait…non. Sur cette photo, on est en 2007 à New York. Je suis là pour taffer mais le métro occupe mon esprit. Je passe deux jours à chercher au hasard, puis je me concentre sur un plan trouvé en extérieur en fin de ligne. L’idée est de faire un backjump en station. La nuit venue, je vais sur le plan pour préparer la sortie du lendemain et découpe un L dans le grillage, il fait noir complet et je galère un peu. Le matin suivant je me pointe dans la station et là, il y a un peu plus de monde que précédemment. Plusieurs voyageurs sur le quai, dans le train que je veux peindre, il y a des nettoyeurs. Je suis là sur le quai et j’hésite… C’est un peu cramé et en même temps, tout le monde regarde ailleurs. Je saisis ma chance et passe entre deux wagons vite fait pour sauter coté grillage. Le plan, c’est faire mon nom en dix minutes. Je vais pour commencer et voilà qu’un nettoyeur se met à nettoyer juste au-dessus de moi sans me capter. Je réduis mes ambitions à un flop logotype. Y’a plus qu’à sortir par le grillage. Sauf que quand je vais pour l’ouvrir ça coince. Dans le noir, la veille, j’ai oublié de couper la jonction des deux lignes du L et je me retrouve avec un truc impossible à écarter. Du coup, je ressors par là où je suis venu et me fais évidemment griller par des mamies que je m’empresse de saluer en espérant qu’elles ne vont pas me balancer. Je sors de la station, prends ma tof depuis l’extérieur et commence à partir pour m’apercevoir que le plan de mes rêves était en fait à cent mètres d’une station de police.

#11 Les Beaumettes


En 2014, j’ai réalisé avec l’aide de plusieurs détenus deux fresques à la prison des Baumettes à Marseille. Pour moi, c’était un peu étrange d’être dans cet endroit où je venais voir mon père 15 ans avant et ou des bon potes avaient été enfermés. Je ne connaissais le lieu que par le filtre du parloir mais j’avais envie de faire ça. Peut-être pour mon père parti quelques années plus tôt et pour permettre par la même occasion aux détenus qui ont peint avec moi de rendre leur gosses et leurs familles fiers d’eux, tout comme moi je l’avais été gamin lorsque mon père avait peint la prison Saint-Paul alors qu’il y était incarcéré dans les années 80.

#12 Sculptures éphémères


En 2007, je change radicalement, je stoppe net les conneries en France pour me concentrer sur mon travail personnel. Je veux continuer à intervenir dans la rue mais avec quelque chose de différent et qui ne me coûte quasi rien à produire. C’est là que j’ai l’idée d’envoyer des sculptures en plastique, matériau qui sert habituellement de support publicitaire que je récupère autour des grandes surfaces. Je les découpe au cutter et les assemble avec des serres câbles. J’abandonne ces sculptures dans l’espace public comme on le fait lorsque l’on fait un flop ou un tag. Comme la matière est assez fragile, leur durée de vie est éphémère, au maximum quelques mois. La plupart sont traversées par des grillages de chantier récupérés aussi et qui, au-delà de servir à les déplacer, font partie intégrante de ces portraits qui parlent de frontière, de passage et d’identité et me rappellent aussi d’où je viens et pourquoi je le fais. Celle sur la photo a été récemment posée sur un toit et fait face à un commissariat à Örebro, en Suède.

Plus de photos de User ici.