Je pense avoir commencé le graffiti comme beaucoup de jeunes banlieusards au fond d’une classe de collège. Je me suis progressivement désintéressé des cours en gribouillant chaque année de plus en plus de pages de mes divers cahiers, avant de finalement complètement lâcher l’affaire avec l’éducation nationale. Faire du graffiti, c’est certainement pour moi le seul « remède » plus ou moins sain que j’ai découvert afin de cracher mon dégoût profond pour cette société anxiogène, qui, à force de battre de l’aile, en a perdu quasiment toutes ses plumes.

Dans le fond, étant aussi peu considéré comme forme de créativité, mes graffitis ne doivent certainement passer que pour le reflet de ma volonté de faire évoluer cette société malade et du confort que j’ai trouvé à m’amuser dans mon oisiveté.

Malgré pas mal de ratés, je fais le graffiti qui me plaît, en essayant de pousser au maximum ma recherche graphique, ou une illustration pour rendre mon taf intelligible, sans répéter inlassablement ces mêmes cinq lettres sans but précis et m’enfermer dans un ennui routinier. Si je peux y associer une anecdote ou une histoire, ça me plaît d’autant plus, et ça me réjouit de pouvoir y ajouter une touche humoristique ou de pouvoir émouvoir, même si on ne le comprend pas forcément en un seul mot pondu entre vingt minutes et une heure (parfois beaucoup plus au grand regret de certains de mes potes très patients!) qui ne restera en gare, devant l’attention limitée du commun des mortels pressés, qu’a peine trente secondes.

#1 Peinture par KO

L’un de mes premiers panels en 2009, le gant de boxe qui fume, prêt à en découdre de nouveau. Grâce à la photo suivante – merci encore Phot pour ta patience et tes nombreuses archives que je perdrais si tu n’étais pas là – je me suis aperçu que la taille du gant de boxe grandit ou rétrécit en fonction de la fermeture ou de l’ouverture de la fenêtre.

#2 Firebird

Comme le Phoenix, le graffiti renaît toujours de ses cendres. C’est aussi une dédicace au modèle éponyme de Pontiac qui était certainement autant convoité par les amateurs de muscle cars que les Z5300 par les graffeurs. J’ai souhaité que le graphisme de cette pièce soit plus cartoon et humoristique en espérant amuser la galerie. J’ai peint cette pièce par une froide nuit fin Novembre 2013. C’était super drôle et enthousiasmant de la voir continuer de circuler en Juin 2014, avec les vitres buffées, à croire que les équipes de nettoyeurs ont apprécié la dédicace, tandis que les pièces de mes deux acolytes ont été complètement nettoyées.

#3 Traquer l’ours

C’était tellement rare de voir un petit gris dans cet endroit qu’il a fallu pondre quelque chose rapidement avant que l’ours ne rentre se terrer dans sa tanière pour l’hiver.

#4 Portrait de famille

Je voulais critiquer le fait que nombreux sont les parisiens et banlieusards qui voyagent sans poser le regard sur leur prochain, ne communicant même pas les uns les autres mis à part pour déverser leur stress ou leur haine, ou se moquant totalement de raconter leur vie de merde haut et fort au téléphone comme si quelqu’un en avait quelque chose à foutre. Je trouvais que des gens qui font la gueule auraient fait un joli tableau pittoresque. Malheureusement je n’ai jamais eu la photo en circulation… les joies du trainspotting.

#5 Aura magique

Quand j’ai sketché cette pièce, j’étais vraiment content de l’impact visuel que l’ombre portée pouvait avoir. Techniquement super simple pour donner du poids sans faire un conventionnel fond autour d’une pièce. Quoi de mieux que le support favori de nombreux de nos pairs pour dessiner des lettres qui se décollent difficilement de cette magnifique carcasse d’inox vouée à la destruction après plus d’un demi siècle de loyaux services ferroviaires, comptant nombre d’anecdotes, de souvenirs et de faits divers en tout genre. Du haut du siège du machiniste pour me permettre d’augmenter mon un mètre vingt bras levés, je souhaitais rendre hommage à ces trains avant leur disparition en donnant un aspect d’aura magique. Encore une fois trop long, à faire attendre mes potes sous la pluie, nous avons du partir sans que je ne puisse fignoler deux, trois détails amusants en plus.

#6 Mon côté romantique

Un panel Cœurs pour le nombre de vies véhiculées, ôtées ou brisées dans et par ces trains. Des cœurs pour ces gens qui financent leur acheminement vers leur labeur aussi routinier qu’épuisant. Peut-être même pour le nombre de personnes qui payent des amendes excessives pour n’avoir que dessiné sur des murs, ou plus. Ou encore pour mon rythme cardiaque lorsque je dois courir après un train ou au devant d’un maître-chien zélé, parfois plus. C’est trop vaste pour que je puisse affirmer une idée là-dessus. Parfois, c’est aussi funky d’être intuitif.

#7 Le Golem

C’est fantastique de se retrouver dans un tel endroit, devant la dernière créature existante de ce type, avant que sa livrée ne change et qu’elle devienne plus fade. C’était le dernier wagon double-étage blanc et jaune avant sa rénovation dans un atelier qui te fait penser que tu vas enfin rencontrer le père Noël.

#8 Débandade

Si le sécu n’était pas arrivé aussi vite, j’aurais peut-être pu finir. Mon « t’inquiètes, on a bientôt fini ! » n’a pas forcément eu l’air de le rassurer quand il s’est mis à courir sans raison apparente en sens inverse. Aujourd’hui, j’imagine qu’il avait dû laisser le gaz ouvert à la maison. La débandade était digne d’un Tex Avery.

#9 Nouveau Western

«-Une bière. Et une bouteille de whisky.
-Vous ne voulez rien d’autre ?
-Si : qu’on me fiche la paix pendant que je bois.»
Clint Eastwood, L’homme des Hautes Plaines.

#10 Le chant des baleines

Cette peinture n’est pas digne d’un Miyazaki, mais je trouvais ça amusant et positif de comparer ces géants de métal à des baleines à bosses qui nous transportent tel le krill qu’elles dévorent, non pas pour se nourrir, mais pour nous faire voyager dans les limbes de notre mégapole grisâtre que tant de gens se donnent du mal à colorer, se risquant à amenuiser le confort personnel des usagers.

#11 Hommage à Martha Cooper

Jamais de ma vie je n’aurais pu penser faire autant plaisir à quelqu’un d’aussi important pour une culture qui me passionne tant, d’aussi énergique et euphorisante. J’espère être aussi heureux et détenteur d’autant de vivacité à ton âge.

#12 Requiescat in pace Spike


Sois patient Spike, on est en route.

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