Il y a trente ans, je touche pour la première fois aux Posca et aux bombes. A l’époque, je fais du skate, je ne sais pas ce qu’est le Graffiti. Dans des magazines comme Thrasher, je vois des graffs sur des rampes, des tags et je trouve ça sympa de les recopier. Au début, je reproduis le nom des marques de skate et des logos, comme la fameuse tête de mort de Powell Peralta.

Je fais mon premier freestyle sur un mur le long des voies ferrées près de chez moi avec des bombes qu’un pote a piquées dans le garage de son père. En rentrant je passe devant un train garé la nuit. Direct, je pose quelques tags : Nirvana, Skate Or Die… Je me rends compte que ce n’est pas comme un mur qui pompe la peinture, mais que ça passe nickel. Je me trouve un pseudo et à l’occasion je passe dans ce layup pour y taper des chromes avec des bombes Motip pour voiture, sans même prendre de photos. Je ne sais pas encore que c’est une suite logique.

Dans un magazine de Rap, je vois quelques pages du légendaire livre Paris Tonkar. La révélation de ma vie ! J’en reviens pas, des graffs sur des métros et en plus les gars les prennent en photo. Je rencontre ensuite des graffeurs pendant un jam à Bruxelles, dont Decor, un des premiers graffeurs belges. Je lui propose de faire un panel ensemble dans mon layup. Le week-end suivant, c’est chose faite. Pendant quelques années, je tape régulièrement des panels partout en Belgique avec lui. Je me souviens des nuits blanches passées en train pour aller chez lui, pour ensuite bouger en voiture jusqu’à 4 ou 5h du matin. Parfois, on dormait dans la voiture en attendant le lever du soleil pour faire les photos en journée. Puis, retour à la gare la plus proche pour rentrer chez moi à 9h ou 10h du matin, complètement épuisé.

C’est l’époque du téléphone et des messages codés pour se fixer des rendez-vous, des lettres échangées, des magazines comme True Colors, Bomber en noir et blanc… En y repensant, ce sont les meilleurs souvenirs de ma vie de graffeur. Je vais à Amsterdam pour acheter des Belton sur le marché de Waterlooplein. Je peux dire que j’ai aussi connu la fameuse époque du métro d’Amsterdam complètement déchiré par des légendes comme Mellie, Reaze, Delta…

Je peins mon premier métro à Amsterdam en 1996. C’était si facile. C’est d’ailleurs en rentrant d’Amsterdam avec Decor, qu’on trouve mon pseudo, Hulk. C’est la génération débrouille, on faisait avec ce qu’on avait. Je me souviens être allé en France avec mon scooter ou encore en Allemagne et en Hollande durant les vacances scolaires. Qui peut en dire autant en 2018 ?

#1 Requin Vs. cochon

Je n’ai jamais été doué pour les persos. Vu que mes graffs se faisaient toujours sur trains, rapide et facile à lire, je n’ai jamais vraiment essayé des techniques pour faire de beaux highlights comme ceux faits au fat cap et qui se rétrécissent. Je trouve ça top, mais j’en suis incapable. Il faudrait que je m’entraîne, mais comme je ne suis pas un grand fan de mur… Cette idée de panel Requin vient des avions de la Seconde Guerre mondiale. Au départ, je voulais créer un lettrage impliquant une tête de cochon, vu que ce modèle de train est surnommé Piggy. Mais comme je ne trouvais rien comme dessin sympa, je me suis rabattu sur ce fameux requin, en imaginant le panel entrer en gare pour manger les voyageurs. Il a d’ailleurs fait la couverture d’un livre, à mon grand étonnement. Je l’ai peint en journée, comme souvent sur ce plan. J’aimais y aller le week-end, ensuite je passais manger une frite près de la gare, c’était mon rituel.

#2 Arrête-toi… Police !

C’est le plan que j’ai le plus tapé en journée. J’enchainais parfois deux panels en couleur. Je me baladais partout dans le dépôt, je le connaissais comme ma poche. Parfois j’y allais de nuit pour faire un wholecar et le lendemain en y allant faire les photos, je tapais un panel. Il m’est arrivé de jouer au chat et à la souris avec les ouvriers qui parfois passaient en vélo entre les trains. C’était assez comique, même si un jour avec des Allemands, la police m’a surpris en pleine action. J’ai couru tellement vite qu’ils ont dû se demander qui était ce dingue avec une cagoule et une veste fluo. J’ai juste entendu : « arrête-toi, police !  »

Ouais, bien sûr que je vais m’arrêter.

#3 L’hiver, seul dehors

J’adore l’hiver, je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce qu’il fait tellement froid que tu es souvent seul dehors, mais aussi parce que la neige te donne une certaine lumière. Souvent, je me rassurais en voyant que le long du train il n’y avait pas de pas trahissant le passage de la sécurité ou autre. Il y a un plan à la frontière Belge, perdu au milieu de nulle part, c’est pas évident de s’y garer car il n’y a rien autour. Si tu dois récupérer ta voiture et que tu te fais courser, il y a de grandes chances que tu te fasses serrer car c’est assez facile de boucler les deux routes qui donnent accès au layup.

#4 Du Nord au Sud

Encore et toujours les Piggys. Je pense que c’est le modèle de train que je préfère en Belgique. On peut souvent le taper dans le Sud du pays et il circule ensuite dans le Nord. Parfois, il roule non buffé pendant des semaines. C’est surtout pour cette raison que si j’ai le choix dans un dépôt, c’est le Piggy que je vais peindre. Je n’utilise pas ces couleurs habituellement, je préfère les trucs plus flashy.

#5 El Barto

J’ai fait ce panel à la sortie du film des Simpson’s. Je me souviens avoir essayé de voler une affiche dans un abribus quelques jours avant pour la coller à coté de mon panel. C’était assez comique parce que j’avais pris des clés Allen dans une boite à outils pour y aller en pleine nuit. Après plus de trente minutes à forcer dans tous les sens, j’ai abandonné. J’ai bu ma bière et je suis rentré chez moi bredouille. Encore du grand n’importe quoi de ma part. Il m’arrive souvent d’avoir des idées à la con, ça fait toujours rire mes potes.

#6 Forza Napoli

Je pense que l’Italie est le pays où on se sent le mieux pour taper des trains. Les gens sont cools, les pizza sont excellentes, le soleil est idéal. Tu ne peux rentrer chez toi que rassasié à tous les niveaux. J’y suis allé de nombreuses fois, que ce soit à Rome en 1996 pour les métros de la ligne B ou Milan en 2000, Naples en 2007, Bergamo en 2008… Pour cette session, j’avais rendez-vous avec des locaux. J’ai pris l’avion et ensuite le train. Au terminus, je sors du train et là devant moi, une dizaine de graffeurs avec un grand panneau HULK. Je ne savais pas quoi faire. C’était le monde à l’envers. Pour moi qui essaye de toujours rester discret, c’est un peu loupé. Je me présente et je comprends vite que les cinq prochains jours promettent d’être festif.

Je garde un souvenir merveilleux entre la plage de sable noir, les filles magnifiques en bikini, les soirées sur les toits, les repas servis par la maman de mon contact digne du restaurant, mais aussi de voir passer mes panels sur la Circumvesuviana en me réveillant et en regardant par la fenêtre de ma chambre. Le fameux métro jaune où pour se rendre au dépôt, tu dois traverser les pires coupes-gorges de Naples, les panels en journée chaque matin à la même heure avec les locaux qui discutent dans le dépôt avec la sécurité et qui te regardent. J’ai des photos de moi en maillot, lunettes de soleil en train de peindre. Quand je les regarde, ça me met un coup de blues. Franchement, c’est un de mes plus beaux voyage en mode peinture.

#7 Vienne : ville du métro… et de l’amour

Le métro de Vienne me tentait depuis un certain temps, j’avais vu passer pas mal de wholecars dans des magazines. A l’époque, j’ai un pote Allemand, Bash qui y est déjà allé et qui connait un local qui tape du métro. On s’y donne rendez-vous, c’est en 2006. On dort chez ce fameux contact qui vit en colocation avec quatre filles qui sont là en Erasmus… dont une Allemande de Munich qui se demande ce qu’on vient foutre. Le soir en mode préparation pour une action, je sors de la cuisine, avec une bière à la main, je croise Ana, on discute de tout et rien, on rigole. Le feeling est vraiment cool entre nous, au point qu’elle me dit de venir dormir avec elle quand je rentre.

Je passe donc un séjour entre les tunnels de métros, et les bras de cette jeune Allemande. C’est aussi mes derniers moments de rigolade avec Stefan Bash. Peu de temps après, en revenant d’une soirée trop arrosée à Cologne, il tombe en faisant du trainsurfing. II me reste juste des photos d’action de lui et des souvenirs sur l’autoroute avec sa Golf 4 GTI qui me faisait flipper quand il venait en Belgique et qu’on allait peindre ensemble, tellement elle était puissante. Je me souviendrais toujours du bruit de voiture de course qu’elle faisait quand il accélérait. Je suis resté en contact avec Ana assez longtemps. Elle est venue en Belgique et je suis retourné à Vienne pour passer du temps avec elle. Je me souviens aussi de ce métro car pendant que j’étais dans le tunnel, Ana surveillait pour moi dans la station en me parlant en direct via son portable.

Repose en paix Stefan.

#8 La cerise sur le gâteau

Les fameux Cherrys, je ne pouvais pas m’empêcher de peindre sur la porte. Je ne sais pas pourquoi, mais cette marche donne toujours un effet plus gros à mon panel. Du coup, quand je choisissais ma place sur le train, il m’est souvent arrivé d’entendre ce bon vieux Shock me dire : « arrête de me casser les couilles avec ta porte, personne n’en veut.  »

Bien sûr que j’allais peindre dessus !

#9 Moustiques et citronnelle

Avec des locaux, on décide de faire un double end-to-end en utilisant les mêmes couleurs. Ceux qui sont déjà allés en Italie savent qu’il est parfois très compliqué de se faire comprendre en anglais. Quand il s’agit de peindre c’est encore pire. Je ne savais pas encore à quel point j’allais subir durant cette soirée.

Nous voilà donc à huit répartis dans deux voitures. En sortant de la caisse, je vois les mecs qui commencent à se foutre de la citronnelle partout. Je demande pourquoi et j’entends juste : mosquito.

Je me dis : « OK, tu es en Italie, te pose pas de question. »

On commence à peindre. Je suis chargé de tracer le fond après les lettrages. Je commence à sentir mes jambes qui piquent et mon visage qui se fait littéralement attaquer par des putains de moustiques.

L’été en Italie, c’est une évidence d’être en short et en t-shirt dans un dépôt. Je passe sur les détails, entre me taper sur la gueule, en évitant de me mettre de la peinture dessus, taper sur mes jambes, faire pisser de rire les italiens, pour finalement terminer cette action en souffrance.

Pour fêter ce double end-to-end, on prend un verre dans un bar. Arrivé sur la terrasse, le regard des gens suffit à me faire comprendre l’état de ma tête. Merci aux ML’S de s’être foutus autant de ma gueule ce soir là.

#10 Lettrage logo

Il m’arrivait parfois de faire un panel plus stylé, un lettrage logo. C’est bien lisible et c’est facile de trouver des lettres sympas. Mes premiers panels de ce type doivent dater de 1998. Il y a une chose qui me dérange dans le nom Hulk, c’est que chaque lettre est composée de lignes verticales. Quand je n’ai pas d’inspiration pour un lettrage plus graffiti, je trace des lettres droites. De cette manière, je suis certain de faire un panel avec un style qui ne me correspond.

#11 Plan B

Un jour de Décembre, une pluie fine et l’envie de peindre. Quand la météo ne permet pas de faire un beau panel, mais que tu es motivé pour y aller, tu dois toujours avoir un plan B. Celui du papier WC que tu vas chercher dans les toilettes du train.

Après avoir récupéré ton précieux, tu essuies ta place comme un bon petit nettoyeur de train. Sauf que dans ce cas, c’est pour le peindre.

Entre les fois où j’ai cherché dans tous les WC et que je n’ai rien pas trouvé, celles où j’ai démonté l’essuie-glace sur l’avant du train pour frotter comme un acharné cette fichue pluie, et les fois ou j’ai arraché les rideaux des premières classes… Je me dis parfois que le Graffiti, c’est du grand n’importe quoi.

#12 Dimanche de derby

Un dimanche après-midi et environ dix mecs sur le même plan. Je termine mon panel et quand je me retourne, j’ai l’impression d’être face à des hooligans qui viennent de gagner un derby. Ça court et ça grimpe partout, limite ça gueule. Du chrome, de la couleur, des tags, de la peinture au rouleau. Un bordel pas possible. J’ai un mauvais pressentiment. Je décide de prendre quelques photos et d’aller attendre plus loin. Score final : victoire totale fêtée avec des bières dans un vieux café d’un village.