Dans l’univers de l’édition consacrée au graffiti, difficile de s’y retrouver. Les projets en auto-prod se multiplient, mais il est rare de rencontrer une structure suivant une ligne éditoriale dédiée au graffiti, qui soit capable de produire des objets originaux, et de perdurer. Issue du crew 1984, la petite équipe de Terrain Vague s’est formée et a ouvert un atelier d’impression dans la région parisienne.

Fédérant de nombreux artistes issus du graffiti, les Éditions Terrain Vague mettent à disposition des moyens de production pour les artistes, tout en leur proposant de mettre la main à la pâte. Leur credo : fabriquer des œuvres sur mesure pour les passionnés, en toute indépendance, sans intermédiaire et parallèlement au marché de l’Art.

Rencontre avec les membres du groupuscule, Bernard Fontaine, Spé et Vincent La fuite.

Pourquoi Terrain Vague ?

Pour les Peintres Urbains de Proximité que nous sommes, le terrain n’est pas un point de vente de drogue. Il symbolise un interstice urbain ou rural non domestiqué, abandonné, moins soumis à la pression extérieure. Dans un terrain, le temps passe différemment, et nous y avons fait des rencontres qui nous ont tous changés dans la façon d’appréhender l’ordre et le désordre, l’amitié, l’art, la rentabilité, le regard sur l’urbanité en général. Ces souvenirs sont devenus le terreau nourricier de notre vision du monde et de l’art. Le groupe 1984 a renforcé cette option avec certitude : on a quelque chose à dire et à réaliser.

Nous avons décidé de lutter à armes égales contre la publicité, les clichés et la récupération ambiante. Nous avons donc opté pour une forme offensive et classique à la fois : des tirages limités, numérotés, gaufrés, livrés avec certificats d’authenticité. Nous reflétons le vrai monde avec ses contradictions et ses non-sens dans le temps qui nous est imparti : une attention numérique de quelques secondes… à laquelle nous répondons par des sorties très fréquentes en toute autonomie.

Quels sont les artistes avec lesquels vous travaillez ?

Les artistes représentés par Éditions Terrain Vague ont en commun d’être ou d’avoir été ces héros de l’inutile, ce qui va à contre-courant de quasi tous les mouvements artistiques dits contemporains. C’est cette expérience qui nous réunit au sein d’ETV. Notre maison d’édition se veut le reflet de ces expériences passées, présentes, et futures.

Je me vois comme un gribouilleur multi-surfaces autodidacte.
– Spé

Le graffiti est un phénomène mondial, viral et éphémère, qu’il nous a paru urgent de documenter avec tous ces moments de vie et de création. Il est l’expression d’une liberté que des peintres s’octroient dans un milieu urbain sous contrôle. Notre historique graffitesque, individuel ou collectif, méritait d’être mis en avant à travers des éditions qui nous ressemblent : livres, affiches, estampes, objets…

Aujourd’hui, je me considère plus comme un artisan qu’un artiste, et cette position me convient très bien. Entre direction artistique, réalisation et mécénat, c’est une place privilégiée et enrichissante que j’entends conserver aussi longtemps que des artistes et le public nous feront confiance.
– Vincent La Fuite

Une ligne éditoriale particulière ?

Notre positionnement d’éditeur a été pensé comme une trinité équitable reposant sur un équilibre de propositions entre l’artiste, nous et le public. Dans la pratique, une partie de la production revient aux artistes et nous vendons le reste sur notre site et dans les salons de micro-édition pour pouvoir financer d’autres sorties. Notre système économique a pour seul nécessité d’être viable afin de pouvoir continuer à créer. Notre diffusion reste à l’échelle humaine en proposant un circuit court et direct entre l’artiste et le public. On se préserve ainsi de la censure, des commissionnaires et de tout intermédiaire afin de produire des œuvres singulières et sincères. L’édition d’art n’étant pas une activité lucrative, nous l’exerçons par passion avec pour objectif de faire exister durablement des artistes, parallèlement au marché de l’art.

Notre ligne éditoriale se concentre autour d’artistes, qui sont parfois des amis ou des proches, et que nous trouvons pertinents par leur capacité à pousser le graffiti en dehors des sentiers battus : Rizote, Sonik, Popay, Wxyz, Omick, Lek, Gues et d’autres.

Avec l’équipe ETV, nous leur proposons de fabriquer des objets sur-mesure, qui leur correspondent. Les artistes sont amenés à développer autrement, avec d’autres médiums, des aspects singuliers de leurs productions urbaines. Nous les invitons à notre atelier pour échanger et qu’ils puissent se saisir des différentes techniques d’impression.

Projet après projet, on essaie d’agrandir notre palette en mélangeant différentes techniques d’impression. Le résultat donne des objets hybrides, comme les coffrets qui regroupent pêle-mêle estampes (linogravure, eau-forte), photographies et supports audio ou vidéo… et puis bien-sûr les livres d’artistes, comme dernièrement Dites non au tag !, un ouvrage collectif qui mixe l’impression numérique, la sérigraphie et le débossage (impression en relief), le tout relié main.

Le tag reste l’expression du graffiti la plus décriée dans nos démocraties libérales qui ont vendu l’espace public à la publicité et l’ont livré à la spéculation immobilière. Le tag concentre pourtant l’essence du graffiti : style, répétition, illégalité. Pour moi, c’est une révolution.
– Bernard Fontaine

Des projets en cours ?

Jean-Baptiste Barra et Timothée Engasser sont en train de fabriquer un coffret qui envisage également le graffiti dans son rapport avec la ville, mais cette fois d’un point de vue sociologique. Ils ont choisi de parler de l’effacement des graffitis, avec un objet qui ressemble à une boîte de jeu de société, comprenant différents objets dont une carte dépliable prenant en dérision les street art tour.

Gues vient de sortir un nouveau livre, Ad Nauseam. Par l’intermédiaire du graffiti, il a développé une démarche photographique focalisée sur la banlieue, qu’il parcourt de long en large à la recherche de spots à peindre. Depuis les années 1990, Gues a progressivement élargi son cadre photographique au contexte de ses peintures. Ses images en noir et blanc ont été volontairement tramées et sont classées par lieux. Comme à l’habitude d’ETV, le livre est à tirage limité, signé par l’artiste et accompagné d’un ex-libris en couleur, une petite sérigraphie insérée dans le livre.