Je suis originaire de Metz mais je vis au Luxembourg. Jeune, j’ai vu par-ci par-là des bribes de la culture Hip hop et du Graffiti, mais sans plus. Je dessinais des persos et des petites lettres sans aucune référence. Le déclic a eu lieu pendant un voyage scolaire à Paris en voyant un chrome contour rouge sur une façade, pas loin de l’Opéra Bastille en 1991. La claque ! J’ai dessiné et peint de temps à autre pendant un moment, préférant faire quelques conneries avec les potes et puis c’est devenu de pire en pire. Je ne pensais pas que cela deviendrait une drogue, ce petit son, « pschh, pschh… » qui m’a permis de sentir la vie autrement, de vibrer, de rencontrer, de voyager. Même si c’est arrivé, je n’appartiens à aucun crew en particulier. J’ai du mal à me retrouver dans une identité de groupe et je suis un gros relou.

J’aime le Graffiti et tout ce qui touche aux murs en général, de la plus petite inscription à la plus belle pièce. L’amour des lettres, des messages et des noms que les hommes ont inscrit dans la pierre, le bois ou sur les murs pour exprimer qu’ils étaient, tout simplement à un moment précis. Mon style est classique, mais je travaille aussi sur des lettres plus complexes, influencé par les volutes et les arabesques. De temps à autre, j’écris ma vie sur les murs quand le cœur m’en dit.

#1 Première fois à Berlin

Je vais à Berlin la première fois en 2007 avec mon pote Bewo qui a des connexions là-bas. J’y prend une sacrée claque. Je découvre une façon de travailler et de penser la lettre totalement différente. Un truc de malade pour un provincial comme moi. La ville aussi m’a plu. A cette époque, je parle trois mots d’anglais, alors question relationnel, exceptée ma bonne humeur, c’est un peu mort. Malgré tout, on passe une semaine de folie à peindre avec des berlinois old school. C’était top. Ensuite, j’y rencontre ma femme. J’y passe pas mal de temps et je continue à y peindre. Là, c’est pendant l’hiver en 2015, un spot le long de la Spree avec Dejoe, Rism avec qui je peins souvent là-bas, Caze un serbe et Mesk un portugais. Ce spot est détruit, il ne reste plus qu’un bout de mur réservé à Drik et les masters de Berlin.

#2 This is the Sound of Graffiti

Je découvre un spot, un garage qui a brûlé, plus de toitures, des déchets et de l’huile partout. J’y fais quelques pièces de taille normale, mais vite lassé, je passe une journée à dégager tout ce bordel et j’essaye de rendre le lieu agréable pour pouvoir peindre ce mur. Je me demande ce que je vais pouvoir faire dessus. Je ne fais plus de fresques depuis longtemps, mais cela me titille. Me voilà en train de réaliser un hymne à la culture Graffiti. Sur cette photo, je suis dans ma tenue de Like Sader, un personnage que j’ai créé deux ans plus tôt.

#3 Sous tension en Palestine

On me propose de me joindre à un groupe qui se rend en Palestine pour faire un état de la situation. Je me questionne un peu et dis OK. Nous rencontrons des deux côtés du mur des activistes politiques et des associations engagées pour la paix et on visite des villes et des villages enclavés. Je vois le mur et toutes les peintures qui ont été réalisés dessus, il est tellement abject que je n’ai pas envie de le mettre en couleur.

Au milieu du séjour, on débarque à Ramallah. En face de notre chambre d’hôtel, se trouve la gare routière avec une pièce en arabe sur le mur. L’envie me vient. Je vais demander aux commerçants du coin si c’est possible de trouver un mur. Il m’envoie chez l’un, qui nous emmène chez l’autre et encore un et un dernier pour la route. On me montre un mur, on me demande à quelle heure je compte commencer pour venir assurer ma sécurité pendant mon action. Je vais chercher du matériel, je mange et je gribouille une petite esquisse, ma femme m’aide à finaliser le concept de la pièce. J’arrive sur le spot à 21h au lieu de 19h30. Le mur se trouve à cinquante mètres de la place Al-Manara. Je suis avec ma femme, et je commence à esquisser une étoile de David sur le mur. Autant dire que ce n’est pas le symbole préféré ici. Deux mecs m’interpellent et me demandent ce que je fais. Ma femme qui parle bien anglais leur montre le sketch et explique que ce n’est que le début et qu’il faut attendre un peu. Eux ne parlent pas bien anglais, ils décident malgré tout de rester pour assurer notre sécurité.

A ce moment-là, éclate une manifestation. Le Fatah vient de gagner les élections universitaires. La place se noircit de monde, les voitures klaxonnent et les kalachnikovs chantent. Derrière moi un bon nombre de gars me regardent peindre, pas très enthousiastes. Je suis tendu par l’histoire de l’étoile qui n’est pas bien passée. Enfin, lorsque je colorie l’arbre avec les couleurs du drapeau palestinien la situation se détend. Ils applaudissent, mais redeviennent amers lorsque j’utilise du bleu pour commencer un arc-en-ciel (mauvaise couleur). Je finis sous stress. A ce moment, notre groupe nous rejoint enfin et cela donne lieux à des échanges et des sourires.

Je respire enfin. Un des hommes me réquisitionne d’office pour réaliser la même peinture sur le mur d’un camp de réfugiés à Naplouse deux jours plus tard.

Paix, Salam, Shalom…

#4 Parcours fléché

Ce n’ est pas mon mur, c’est celui de la casse auto. En tout cas, j’aime bien m’y défouler de temps à autre. Pas grand chose à dire sur cette pièce si ce n’est que c’est juste avant de prendre la route pour un bout de temps et que j’avais envie de faire plaisir aux potos qui aiment compter les flèches.

#5 Roadtrip en Iran

En 2017, on prend la route en famille pour aller en Iran. Nous avons visité dix pays et parcouru plus de trente mille kilomètres dans notre van avec nos deux enfants. Nous sommes partis au début de l’été pour un périple qui a duré jusqu’au printemps suivant.

A proximité de Bodrum en Turquie, je trouve ce bâtiment abandonné au bord de la route. Un super spot pour partager ma passion avec les automobilistes, et les followers du compte Instagram que je venais de créer. J’avais en tête de faire ce message depuis déjà longtemps, le lieu s’y prête parfaitement, une taille adéquate pour un long message plein de bonnes émotions ! A la façon des messages à partager sur Facebook : si toi aussi tu aimes les chats et les câlins alors aime et partage.

En plus, la photo est cool, j’adore les lignes qui la composent ainsi que les couleurs, le jaune de l’herbe, le rouge du bâtiment et le bleu du ciel. Je l’envoie sur le compte Instagram  de Montana Colors qui le publie et je récolte près de onze mille likes.

#6 Lettrage improvisé en Turquie

Un centre commercial abandonné, le White House paumé sur la nationale entre Antalya et Kas en Turquie. Comme d’habitude, j’impose une petite pause pipi. Je vais vite faire un tour dans le hall et voilà ce mur qui m’attend, avec ses ornements orientaux. Un décor idéal ! Malheureusement, je n’ai que deux bombes pleines : une noire, une bleue et deux fonds, un vert et un beige.

Je peins mon lettrage pendant que des locaux débarquent en mob pour chercher du cuivre et de quoi bricoler. Quand ils reviennent à mon niveau, ils hallucinent sur ce que je viens de faire et me balancent un « çok güzel ! » qui fait plaisir.

#7 Échange culturel à Erzurum

L’Est de la Turquie n’a rien à voir avec l’Ouest et le Sud. Checkpoints, sacs de sable, militaires et police, l’Est est sous tension. Si on trouve du graffiti sur la côte ou à Istanbul, ici, il n’y a rien excepté quelques tags. Face à la réaction négative voire même agressive pour certains lorsque je demande s’il était possible de peindre sur des murs en désuétude, je finis par m’adresser à l’office du tourisme. On m’explique que ce n’est pas dans la culture de la région, le conservatisme de la population ne permet pas ce genre de fantaisie. La ville est relativement
morne, très peu colorée, très austère. Je reviens plusieurs fois de suite à la charge, et c’est en utilisant les expressions « partage avec le public et échange culturel » que Murat, mon interlocuteur un peu fatigué par mon insistance, entreprend quelques démarches qui aboutissent dans le cabinet de l’adjoint au maire de cette ville d’un demi-million d’habitants.

Café, chocolat et un énorme portrait d’Erdogan au menu. J’explique ma démarche et je montre quelques photos. Il me demande si je suis capable de reproduire une skyline de la ville. Et voilà qu’il me passe commande pour peindre un panneau pour la candidature de la ville aux Jeux Olympiques d’hiver de 2026. Je lui présente une esquisse deux jours plus tard et je m’accorde avec lui sur le prix.

Je passe ma commande de sprays à Istanbul et commence quatre jours plus tard dans les ateliers de la ville où je sympathise avec les ouvriers surpris par la présence d’un français. Ce travail tombe à pic pour payer nos visas pour l’Iran. Tesekkur ederim!

Malheureusement, je n’ai pas eu de réponse pour peindre sur un mur. Avant de reprendre la route et maintenant que je connais un peu les locaux, je trouve une maison en face de notre place de parking, juste à côté de la mosquée et du château. Elle ne présente pas trop de risques. Je vois qu’il y a des travaux, elle se vide d’encombrants. Je demande aux ouvriers s’il est possible de peindre, je leur montre quelques exemples, je ne parle pas de Graffiti. Ils acquiescent et je commence à peindre en fin d’après-midi, jusqu’à minuit. Je suis interpellé par quelques badauds pas vraiment heureux de voir de la couleur.

#8 Bombing en Iran

En Iran, on découvre un pays incroyable. L’hospitalité de la population et les murs qui sont tous décorés, question esthétique c’est soit la propagande du pouvoir en place, ou des fresques religieuses ou historiques avec des mosaïques à n’en plus finir. Mais pas beaucoup de Graffiti, trop yankee et trop assimilé à la dissidence anti-gouvernementale. Les peines encourues sont lourdes : prison et coups de fouet.

Téhéran n’est pas à notre programme mais on y est invité par un ami réfugié. Je trouve le Hall of Fame local qui vient d’être repeint en blanc… fini le Graffiti. Je n’ai pas réussi à trouver de graffeur par manque de temps et de préparation.

A Shiraz, on a la chance d’être logés dans la famille d’un autre ami réfugié. J’y fais deux chromes bien placés mais le spot qui m’intéresse vraiment, c’est un mur qui se trouve à coté de la sortie du métro et de l’entrée du grand hôpital Namazi. A cet endroit, il y a un trafic dingue. Je m’y rends une première fois pour repérer le lieu mais c’est moi qui suis repérable avec mon teint et mon véhicule.

Il faut que je monte sur un mur, que je ne tombe ni en arrière ni en avant et que je peigne en pleine lumière, à la vue d’une caméra de surveillance avec des voitures et des passants qui circulent sur le pont. J’y retourne avec deux bombe jaunes et un violet. Je monte, je commence et paf ! Le jaune fait deux traits et me lâche complètement. Je me dépêche de finir en espérant ne pas croiser les flics verts, ceux des bonnes mœurs.

Mon affaire terminée, je monte dans mon van. Je démarre et je roule vers l’appartement. J’écoute Beethoven, la 9éme symphonie à fond et au moment où les chœurs chantent, je suis sur un pont avec les drapeaux de la république islamique qui volent au vent. Gros frisson et putain de sensation qui m’envahit !

J’ai fait de la mécanique, j’en ai chié un bout de temps, mais finalement j’ai fait rouler mon van jusqu’ici et je viens de peindre dans ce pays pendant que maman et les enfants dorment. Live the moment now!

#9 Deux CDs pour 20 000 kilomètres

Durant les huit mois de voyage en van, j’ai utilisé les murs pour raconter le quotidien et notre vie de famille comme certains publient leur vie et leurs humeurs sur le mur de Facebook. Je suis resté dans une critique légère de l’ego trip en publiant des talking pictures agrémentées de l’indispensable selfie. Huit mois, H24 avec les kids, c’est cool mais ça peut rendre fou. On n’a écouté que ces deux Cds. On aurait pu tomber sur pire. Le premier, c’est l’histoire du ballet rythmé par les morceaux les plus fameux. L’autre, c’est une compilation de vieilles chansons folkloriques du monde. Difficile d’écouter en boucle les mêmes morceaux, mais aujourd’hui lorsqu’ils passent, j’ai les souvenirs des paysages des pays traversés qui me reviennent et me donnent la nostalgie, les larmes aussi parfois…

Quelques mois après être rentré, je reçois le message d’un writer qui a suivi notre périple sur Instagram et qui me félicite. Pendant ses vacances en Turquie, il est tombé sur cette peinture. Le monde est petit.

#10 Dédicace à ma femme

En arrivant à Athènes après quatorze heures de bateau, on hallucine : tout est peint. En cherchant une place pour se garer et je trouve un petit parking qui semble être aussi un lieu de rendez-vous douteux. Pas top… Je décide de trouver un autre endroit pour dormir. A la sortie du parking, j’aperçois un toit vierge, peut-être l’unique toit à ne pas être peint dans cette ville. On y reste tout de même. Avec une bombe de rouge, je fais un contour pour m’assurer cette place en or, je pose aussi de l’autre côté sachant que je reviendrai dès que j’aurais fait quelques emplettes au shop du coin. Ce spot est bien placé en face d’un service géographique de l’armée.

Un graffeur que je rencontre pour boire quelques bières, Lune 82, est étonné de voir que j’ai réussi à accéder à ce toit dans ce quartier. Le lendemain j’y retourne avec mon sac-à-dos rempli de sprays. Je remplis le lettrage de la veille et de l’autre côté j’inscris cette phrase dédiée à la gente féminine, et qui plaira à une bonne partie des femmes de graffeurs.

Je suis bien reconnaissant de la tolérance de ma femme vis-à-vis de ma passion. J’ai reçu pas mal de message à ce propos. Allez bébé, fais une grimace pour la photo !

#11 Toujours à la bourre

J’ai un gros défaut, je suis toujours en retard. J’essaie de soigner cela. Mais avec tous les efforts du monde, je n’arrive sur le spot, un jam à Trèves en Allemagne, que vers 15h. Le temps de discuter et de dire bonjour… je commence à peindre vers 16H30. Place en hauteur, besoin de trimballer l’échelle, la belle besogne pour les derniers arrivés. Les places étant petites, mon pote Stick qui est censé peindre à côté de moi, décide d’aller peindre sur l’autre partie du mur, je me retrouve donc avec une surface prévue pour deux, la belle affaire.

Ayant vu l’heure tourner de la sorte, je garde le fond blanc pour ma pièce et je balance de la couleur autour. Par chance, à 21h30 les spots s’allument. Et là, une lumière incroyable éclaire ma pièce qui se trouve en plein milieu du mur et qui pour le coup, me donne une de mes meilleurs photos d’ambiance.

#12 I Love Graffiti

Sur le chemin du boulot, je suis attiré par quelques couleurs sur des supports qu’on ne voit pas trop dans le coin : un train gris et un transilien. Je ne suis pas un gros fada de trains ni de trashs mais la disparition des petits gris me pousse à réaliser un Graffiti Can’t Fail avant leur disparition. Quelques temps plus tard, arrive ce modèle tout propre avec seulement quelques vitres cassées. J’en profite pour y placer cette simple phrase qui nous unit tous.

Plus de photos de Sader ici.