– Ton frère s’est fait arrêter !
– Ah bon ?
– Mais pourquoi?
– Hier soir ils n’ont rien trouvé de mieux que de faire des graffitis sur des camionnettes.
– Comme si j’en avais pas assez…

J’ai découvert le graffiti de cette façon. Un matin, au réveil ma mère gueulant dans l’appartement après mon frère. Elle avait dû aller le chercher au poste en pleine nuit pour une histoire de tags. J’avais 12 ans.

#1 Epilation


A cette période, j’avais une voiture et je notais des places à faire au cours de mes déplacements. J’imagine que 97 % des graffeurs auraient peint ce spot une main dans la poche, une bière dans l’autre un samedi après-midi. C’était à Nanterre et il y avait beaucoup de vis-à-vis, des barres d’immeuble qui encerclaient le chantier. J’avais une vision précise de l’angle que je voulais pour réaliser ma peinture. Je décide de venir à la fraîche, quatre heures du mat’. L’idée était d’avoir le temps de finir ma peinture avant que les voisins ne prennent le p’tit dej en fumant leur clope à la fenêtre et ne me balancent comme les fumiers qu’ils sont dans ce genre de situation. En arrivant –surprise– la veille les ouvriers avaient entreposé contre le mur tout le bardage bois récupéré pour la toiture. Il m’a fallu près d’une heure à manutentionner tout le merdier. C’est ce que j’appelle l’épilation. Résultat : je termine le jour bien levé, mais sans casse au final.

#2 Comme un sticker

Quand je réalise cette peinture, c’est dans l’idée d’un sticker. Il doit être bien rempli et se poser en épousant la forme du support. J’avais l’habitude de peindre quelques places sur la route en rentrant du boulot vers les deux heures du matin.

#3 Montagnes sri-lankaises

Une ambiance dans les montagnes sri-lankaises à Nuwara Eliya. Dans cette région montagneuse à deux mille mètres d’altitude, il fait dix degrés et évidemment pas un tag de touriste ni même un sticker qui traine. Dans ces villes de montagne, le seul signe de richesse, c’est de repeindre son habitation. Donc on trouve des magasins de peinture à tous les coins de rue.
J’ai fait les courses dans l’une de ces boutiques et entamé direct une belle pièce bien aplatie, intérieur rouleau, face à la gare de bus locale sur le carrefour principal de la ville. Ma nana répondait aux questions d’une trentaine de mec qui nous regardaient et nous proposaient de passer chez eux après boire le thé et repeindre leurs murs.

#4 En attendant la circu


Cette image a été prise pour régler le cadre. Une journée d’hiver dans une station semi-extérieure bien ventée. Elle évoque la patience qu’il faut avoir dans ce métier. Parfois des journées entières à attendre dans l’incertitude et l’espoir de voir rouler son truc.

#5 Graffiti rock

La photo est prise dans une benne derrière l’usine ou se trouvait mon atelier. Il y a quelques années. En ce qui me concerne, le graffiti a toujours été rock. Je n’imagine pas écouter du rap ou me mettre à parler de hip hop sous prétexte que je vais foutre un tag sur un portail.

#6 Chaos & poésie

Quand j’étais gosse, j’aimais beaucoup explorer les maisons abandonnées. On se retrouvait avec un copain avant ou après l’école et on allait y faire des conneries, se défouler. Du coup en grandissant, ces espaces  ont continué de m’attirer. Je les surveille au jour le jour pour constater leur évolution. Lorsque le chantier démarre, il faut être réactif pour avoir une chance de peindre dans les gravas. Les bâtiments partiellement démolis laissent apparaitre des tapisseries et des éléments de décor, des carrelages, des détails précieux en quelque sorte profanés par les engins de démolition. C’est à la fois un univers chaotique et poétique. Certaines peintures ne restent que quelques heures avant d’être arrachées et réduites en poussière avec le reste.

#7 La traque des camtars

Cette photo a été prise vers la porte d’Asnières. Durant une période de deux ans je me suis passionné pour les camions, comme beaucoup de graffeurs d’ailleurs. J’en avais peint des années auparavant, mais cette fois je voulais utiliser la surface différemment. J’avais envie d’exploiter au maximum l’espace, réaliser des pièces à cheval sur les différentes faces du camion. Côté plus porte arrière, ou les trois faces si possible, même si on ne peut voir que deux faces à la fois en situation réelle. Cette pratique était devenue une activité à temps plein, type CDI. Les trouver, les peindre, pouvoir les filmer quand ils se déplacent et prendre des photos lorsqu’ils sont bien exposés. J’en traquais parfois jusqu’à cinq à la fois dans tout Paris.

#8 Au fond du tunnel

Dans le fond d’un tunnel de RER, c’est la façon dont j’aime pratiquer ma passion, de manière solitaire. Même s’il m’est arrivé de peindre avec d’autres artistes, j’avoue ne pas vraiment apprécier l’ambiance, ça me stresse plus qu’autre chose. Je me suis retrouvé deux fois dans des mauvaises histoires à cause de personnes que j’avais emmenées avec moi. C’était il y a plus de dix ans, mais il faut croire que c’est resté.

#9 J’aurais voulu être un artiste

Au moment de cette photo, je pensais vraiment qu’on pouvait être artiste. Alors qu’en réalité c’est totalement absurde. Deux issues pour un artiste : le succès ou le précipice. Un artiste vit dans une totale clandestinité existentielle. Socialement tout est fait pour dissuader les prétendants au point de considérer ces parcours comme déviants, résultats d’un dérèglement. Pour ceux qui ont fait des choix artistiques plus consensuels, ce sont la plupart du temps des commerçants déguisés qui singent l’art à des fins d’utilité publique.

#10 Les débuts

On est en 1997, C’est avec Faks que ça a commencé. On a fait notre premier train et notre premier métro tous les deux. Il me parlait souvent de Sken et Frez dont il aimait les lettrages bien pointus. C’est l’un de ses premiers graffs, il me semble. J’adore la flèche sur le F, récupérée sur un Frez j’imagine – ils étaient du même coin – et ressortie un peu n’importe comment, genre mate la flèche. Génial ! Ce graff a été peint sous un pont de l’A6 à la sortie de Paris, et comme on peut le voir la place est vierge, alors qu’aujourd’hui on ne pourrait même pas y poser un sticker. Il compte toujours parmi mes amis proches.

#11 Direction la Hollande

Je me souviens précisément de cette journée. Je devais avoir vingt ans, on avait décidé avec deux copains de partir sur un coup de tête pour faire un tour à la campagne. Direction la Hollande. On ne connaissait rien, on avait vaguement entendu le nom d’une ville proche de Maastricht. On décolle de Paris le matin pour pas arriver tard. Sur le rond-point d’un petit patelin, on repère quelques formes et cette couleur jaune caractéristique des trains locaux qu’on appelle Banana, car tout jaune avec un point noir sur le nez. On rentre dans le dépôt en longeant une école et bizarrement aucun grillage. On arrive au cul du dépôt. On se roule un pétard histoire de fluidifier notre style. Il y avait différents modèles de trains, bonne surprise. On commence à peindre et j’ai un sentiment de confort incroyable. L’ambiance est bonne. On a peint trois pièces chacun, c’était vraiment un très bon moment.

#12 Période bleue

Cette photo a été prise il y a quatre, ans tout au plus. J’avais un atelier installé sur une mezzanine dans une usine industrielle de reliure. Elle tournait 24/24 dans un bruit assourdissant avec près d’une centaine d’employés sur les chaines de montage. Ils reliaient entre autre Showbix, un magazine porno vraiment sordide et les gars collaient des images de cul partout dans l’usine. C’est ce qui m’a inspiré la série Sexypolis, une série porno trash ou j’ai commencé à utiliser la couleur bleue dans mes compositions.

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