La légende veut que la déformation des lettres graffiti ait été aidée par la prise d’hallucinogènes. Le LSD et autres psychotropes seraient donc partiellement à l’origine des Wildstyles et autres expérimentations graffiti des années 70. Le lien entre les writers et les produits n’est donc pas nouveau, et il se trouve que Rime MSK est expert dans les deux domaines! Figure marquante du renouveau de la scène US des années 2000, c’est le candidat idéal pour approfondir sur le sujet… Mais attention les enfants, la drogue, c’est mal !

L’auteur de l’interview, Dr Dax, a accompagné Rime dans de nombreux trips aussi bien aussi bien physiques que psychiques. C’est donc un familier de la thématique. A Paris, il a posé ses questions à l’artiste pendant la préparation de son expo Children of Ourselves achevée en janvier 2019. Depuis, Rime semble ne pas avoir vraiment quitté ni la capitale, ni la galerie Wallworks qui a été transformée en 2020 en atelier perso le temps d’une résidence de plusieurs mois.

Rentrons directement dans le vif du sujet. Parle-nous de cette nouvelle phase dans ta vie : le passage de la trentaine à la quarantaine et le voyage spirituel que tu as commencé.

En grandissant je ne me suis jamais considéré comme quelqu’un de spécialement attiré par la spiritualité. Enfant, on m’a forcé à fréquenter l’église catholique, mais il n’y avait pas de lien émotionnel entre l’église et moi. J’avais mes interrogations et j’étais terriblement déçu par les réponses fournies. Ces réponses je les ai obtenues de ceux qui sont religieux dans ma famille, de prêtres ou de nonnes et cela tournait toujours autour de l’idée que si tu n’es pas croyant, tu vas brûler en enfer. Donc tout naturellement -une fois ado- quand je me suis mis au graff, le meilleur moyen de me rebeller contre tout ça était de dire « je ne crois à rien de tout ça, je suis athée ». Cela a été ma position pendant longtemps, quand tu meurs, tu meurs et rien de plus.

Mais avec le temps, j’ai de plus en plus voyagé  à travers le monde, et je me suis confronté à de nouveaux modes de vie bien éloignés de ceux auxquels j’avais été habitué en grandissant. Je me suis dit qu’on n’était sûrement pas les seuls dans l’univers à flotter sur un caillou ! J’ai accepté l’idée de la vie physique au-delà de notre planète.

Passé trente ans, j’ai commencé à m’ouvrir à l’idée de prendre des champignons. La première fois c’était à une fête dans une baraque à Austin, au Texas. Pendant la fête certains dans la cuisine infusaient du thé aux champis et jouaient de l’argent aux dés…

Connaissais-tu ces gens ?

Non, je n’en connaissais aucun mais j’étais avec Risk et Revok de LA, et des potes du Texas. On m’a proposé ce thé aux champignons alors que la plupart à la soirée prenaient de la coke ou d’autres trucs. Perso, n’ayant jamais pris de cocaïne ou quoi que ce soit de plus fort, j’avais associé dans ma tête les champis avec ces drogues plus puissantes qui me faisaient peur. Mais j’ai quand même fini par prendre ce thé et j’ai été surpris à quel point l’expérience était différente de l’herbe ou l’alcool. Ça m’a boosté l’esprit et la réflexion. J’ai été très impressionné par les champignons et j’avais envie d’en reprendre.

Au fil des années je me suis rendu compte que manger des champignons tout en créant mes œuvres était une combinaison fabuleuse. J’ai donc plus ou moins continué pendant les années qui ont suivi tout en peignant des toiles et autres trucs du style. Les gens me disaient aussi « si tu aimes les champis tu aimeras la DMT » mais je n’avais aucune idée de ce que c’était. Après quelques recherches j’ai compris que c’est la Dimethyltryptamine, qu’on soupçonne d’être déjà produite dans notre corps et qu’on peut retrouver dans la plupart des choses vivantes. Cela n’a pas été facile de m’en procurer, ce n’est que quatre ans après avoir découvert son existence que j’en ai eu entre les mains. Cette première fois je ne savais pas à quoi ça ressemblait ni comment ça fonctionnait… et d’ailleurs ça n’a même pas marché ! Etonné par le manque d’effets, j’ai fini par trouver des infos en ligne qui disaient que si tu ne te prépares pas assez ou si tu n’es pas à l’aise et concentré, cela ne va pas fonctionner. J’en ai repris un an plus tard après trois mois de préparation, et ça a finalement marché. J’ai continué à en prendre pendant l’année qui a suivi et j’ai commencé à éprouver des choses qui n’étaient pas le fruit de ma mémoire. La DMT, c’était comme si tu te connectais à un truc hors de toi. Tu es un téléphone sans wifi et tout d’un coup tu te retrouves connecté à internet !

Tu as allumé ton modem…

Carrément. Cette connexion et ces expériences profondes sont extrêmement formatrices et une source d’inspiration au niveau de l’art. C’est rencontrer des entités et avoir des visions associées à la géométrie sacrée. Ces choses que j’ai vécues ont vraiment changé ma perspective, comme si à travers la DMT j’avais reçu l’info qu’il existe plus que toute cette notion du vivant. Ca m’a conduit à l’Ayahuasca… et là on est passés dans une toute autre catégorie.

Parlons donc de l’ayahuasca et des cérémonies auxquelles tu as participé.

Mes expériences passées avec la DMT m’ont dit qu’une chose radicale allait arriver dans ma vie et qu’il fallait que je la traverse pour pouvoir continuer mon chemin. J’ai fini par découvrir qui était mon père via un site qui collecte les infos ADN, quatre ans après avoir fait le test. Le rencontrer m’a permis de me débarrasser de problèmes non résolus et aussi de répondre à des interrogations que j’avais sur qui je suis, et à quel point le sentiment d’abandon est un facteur de motivation dans ce qui m’a poussé à faire du graffiti. J’ai lâché pas mal de lest. J’ai beaucoup appris en prenant de la DMT et cela m’a préparé pour l’ayahuasca.

J’ai pris pour la première fois de l’ayahuasca début 2018 au dessus de New-York en compagnie d’un Shaman péruvien itinérant et de sa femme. J’en ai repris plus récemment ici, juste en dehors de Paris. En France la cérémonie s’est déroulée dans un site sur une colline dominant la Seine. On peut dire que ce trip c’était autre chose. Je recommande chaudement d’en faire l’expérience une fois dans sa vie. L’ayahuasca est une médecine effrayante, mais aimante et qui donne à réfléchir. C’est un moyen de se reconnecter à la planète. Grace à elle nous pouvons arriver à la conclusion qu’on vient tous de la même source. Que nous sommes tous à l’intérieur et au-delà de ce concept de « Dieu ».

Désires-tu rajouter quoi que ce soit sur le sujet ?

Ayahuasca, DMT, champignons, LSD… Toutes ces choses ont eu une influence majeure sur ma vie. Au niveau humain, cela m’a conduit à devenir une personne positive. Je me suis débarrassé de comportements issus d’une éducation dysfonctionnelle. J’ai l’impression que ces expériences d’introspection m’ont préparé à être un meilleur adulte, artiste et un contributeur plus positif à cette planète.

Peux-tu dire que cela à été thérapeutique ?

Absolument, les psychédéliques ont une façon fabuleuse de vous faire repartir à zéro si vous êtes coincés dans un mode de pensée ou prisonnier d’une forme de dépression. On les dépeint souvent comme un truc d’ados et on pense que c’est fou d’en prendre si on est dans sa trentaine ou quarantaine. Au final je pense que ce n’est pas un problème d’en prendre à partir de 25 ans, mais avec la bonne préparation et le respect associé. Toutes ces choses contribuent à une expérience profonde.

Plus de photos de Rime ici.
Interview : Tramontana Magazine | Photos : Nico Giquel & Alain Smilo.