Dans le vaste domaine du graffiti sur mur, Abys fait partie de ceux qui réussissent à mettre en scène leur lettrage avec une galerie de persos tous aussi déjantés les uns que les autres.  Chacune de ses compositions raconte une petite histoire ultra-détaillée… Un régal pour les yeux. Rencontre avec ce graffeur à l’imagination débordante.

D’où viens-tu ?

Je peins depuis une dizaine d’années à Nancy. J’ai commencé au lycée quand j’étais en classe d’Arts Appliqués avec un pote fan de graff. Mon lycée était proche d’un spot, on a commencé à y peindre entre deux cours. Depuis je n’ai jamais arrêté.

Avec qui peins-tu ?

Je n’ai plus vraiment d’équipe. Avec le temps mes potes ont arrêté de peindre. Du coup je me suis retrouvé à peindre en duo avec Horus jusqu’à ce qu’il se calme un peu. J’ai continué en solo quelques temps avant de rencontrer Scaf et Valer avec lesquels je peins maintenant régulièrement. A côté de ça, je fais aussi partie du collectif Nid D’Guêpes (NDG) avec Metra et une quinzaine de rappeurs et de beatmakers, juste pour le kiff.

Quelles sont tes sources d’inspiration ?

J’ai toujours été fan de dessin, de bandes dessinées et d’illustration. Quand j’étais gamin, je dessinais des personnages que j’imaginais. Le graffiti est venu après. Quand je m’y suis mis, j’avais envie de m’essayer au réalisme, j’en ai fait pas mal pendant cinq/six ans. Ça m’a bien aidé pour apprendre la technique mais avec le temps je me suis un peu lassé.

Depuis trois/quatre ans je reviens à ce que j’ai toujours kiffé. Je m’éclate à créer mes propres persos, à les mettre en situation et raconter des petites histoires. Dans le graffiti, j’apprécie le travail de tellement de personnes que c’est impossible de tous les citer. Pour en nommer quelques-uns : Maye, Weal, Azram, Plus, Stom500, Shane, Dashe, Bims, le crew ETAM, Nychos, Bond, Pantone…

D’où te viennent toutes ces idées ?

Je n’ai pas de thème privilégié mais ce qui revient souvent, c’est les animaux, ça m’a toujours fasciné. Il y a tellement d’espèces, c’est une source d’inspiration inépuisable. Il y a aussi beaucoup de symboliques avec lesquelles jouer et c’est ce que je préfère dessiner. Je suis un grand gamin, je préfère les dessins légers et distrayants qui nous sortent un peu du quotidien. Si j’ai une idée pour faire passer un message de manière intelligente, je ne m’en priverai pas, mais il ne faut pas que ça devienne une contrainte.

Pourquoi peindre autant de persos ?

Au début, je ne peignais qu’avec des gars spécialistes du lettrage. Comme j’étais celui qui dessinait le plus, je m’occupais des persos, ce qui m’allait très bien.

Et le lettrage dans tout ça ?

C’est venu il y a deux ou trois ans. Je n’en faisais jamais avant. Quand je me suis retrouvé à peindre seul, poser juste un perso ne m’intéressait pas. J’ai donc commencé à bosser sur mon lettrage pour l’intégrer à mes compositions. Avec le temps, je me suis orienté vers des lettres simples. J’essaye de trouver des petits concepts pour les lier aux persos et créer un ensemble, je considère mon lettrage comme un élément de ma composition.

Comment procèdes-tu avant de peindre ?

Le sketch a beaucoup d’importance. Je peux peindre sans mais je ne suis jamais satisfait du résultat. Je suis assez perfectionniste et j’aime bien savoir à peu près où je vais, même si ça change toujours en cours de route. En général mes sketches ressemblent à des coloriages pour gosses. Je n’ai que le tracé des contours que je reproduis sur mur et j’improvise les couleurs, les ombres, les lights. Si je fais un sketch trop complexe, j’y passe trop de temps et je m’en lasse avant d’avoir pu le peindre.

Quand je peins avec d’autres personnes et si c’est organisé à l’avance, on essaye de prévoir nos sketches en fonction des autres pour avoir un ensemble cohérent. Mais les petites bandes freestyle c’est cool aussi, ça donne de bonnes surprises parfois.

Dessines-tu beaucoup ?

Je suis très brouillon, j’ai des tonnes de pages volantes qui ne ressemblent à rien. Ça me sert juste à poser des idées en quelques coups de crayons. Je choisis ensuite ce qui m’intéresse. Je relie différents croquis entre eux et je développe tout ça. Sur dix sketches je vais peut-être en finir trois ou quatre et j’en peins au maximum un.

Peins-tu exclusivement des murs ?

C’est ce qui me plaît le plus. J’ai fait quelques toiles pendant un moment, mais il n’y a pas vraiment d’endroit où exposer à Nancy et je n’ai pas trop de contact dans le milieu. Faire des toiles pour les garder dans un garage n’a pas beaucoup d’intérêt, même si je prends beaucoup de plaisir à les réaliser.

Te focalises-tu uniquement sur les jams ?

Pas du tout, mais si je suis invité et que je suis dispo, j’y vais toujours avec plaisir. Mais je peins beaucoup plus en dehors de ce type d’événement.

Pourquoi peindre en si gros ?

C’est l’outil et le support qui veulent en partie ça. La bombe n’est pas vraiment faite pour les détails, à moins de faire grand et c’est ce qui me plait. J’ai toujours aimé les peintures imposantes, c’est un genre de challenge. Comme dans n’importe quelle discipline, il y a une certaine satisfaction à obtenir un résultat à la fin.

Ton avis sur les grandes fresques subventionnées ?

Comme dans toutes les cultures, quand ça se démocratise, il y a du positif et du négatif. En ce qui me concerne, j’ai pris le train en marche. Du coup, je ne suis pas le mieux placé pour répondre à tout ça.  Je suis parfois mitigé, c’est une source de débats. Tout dépend où et dans quelles conditions c’est fait, mais dans l’ensemble je trouve ça plutôt positif.

Quelles sont les réactions des gens devant tes murs ?

En général ça les fait sourire. Ils s’attardent un peu sur les détails que j’ai pu dissimuler. C’est le résultat attendu, donc c’est plutôt cool, ça me va très bien. Le graffiti touche les petits comme les grands et comme il y a pas mal d’éléments dans mes pièces, je pense que chacun peut s’y retrouver un peu, que ce soit dans les personnages, les décors ou le lettrage.

Réalises-tu des commandes ?

J’en ai fait beaucoup pendant un moment mais ça m’a assez vite saoulé, on me demandait tout et n’importe quoi. Je ne prenais plus de plaisir à peindre et ça a fini par presque me dégoûter… J’étais à deux doigts de tout arrêter. J’ai fait une pause et je me suis remis à peindre sans contraintes.

Aujourd’hui, j’en fais avec plaisir, à partir du moment où ça reste un minimum dans mon style. Le résultat est toujours plus intéressant quand je me fais plaisir.

Des projets ?

Plein ! Des jams, des connexions, des voyages. J’espère pouvoir continuer comme ça encore longtemps.