Des lettrages déstructurés, des superpositions de traits au fat cap, des effets par centaines… En Belgique, Eyes-B est un inconditionnel du freestyle. Guidé par le tempo de sa playlist, chacune de ses compos abstraites repousse les limites du Graffiti classique, comme recraché par un tsunami kaléïdoscopique.

Rencontre à Bruxelles avec cet adepte de l’impro.

Peux-tu te présenter ?

Je peins depuis une quinzaine d’années, principalement à Bruxelles.

Quoi de neuf dans la capitale belge ?

Bruxelles est une ville de passage, au croisement de pleins de pays. La scène sur trains est hyper-active, idem pour la rue. Au niveau légal le Graffiti et le street art sont de plus en plus acceptés, beaucoup de projets se développent un peu partout. Je m’occupe d’ailleurs de Vizion, un magazine annuel récapitulant ce qui se passe en Belgique durant l’année. Les 292 pages du magazine montrent bien qu’il se passe des tonnes de choses dans ce petit pays.

Quelle est ton approche du lettrage ?

J’en ai fait pendant des années, mais j’avais l’impression de tourner en rond, de faire tout le temps la même chose. Au fil du temps, j’ai commencé à déstructurer mes lettres. D’abord en coupant mon lettrage en deux et en rendant la partie basse plus floue, plus abstraite, et par la suite en rendant la lettre totalement illisible. C’est ce qui m’a amené à faire des peintures abstraites. Je continue à faire des lettrages mais c’est de plus en plus plus rare. Je suis très rarement content du résultat final.

Comment procèdes-tu pour peindre ?

Généralement, je n’ai pas d’idée précise en tête. Ça se fait au feeling, en fonction de l’endroit. J’ai développé une façon de peindre très spontanée grâce à la musique que j’écoute pendant la peinture. Le rythme me guide et entraine mes mouvements. Je peins sur des rythmes très variés, que ce soit du Dubstep, de l’Electro, du Heavy metal, du Jazz ou du Reggae. Il y a du bon dans tout. J’essaye de privilégier les mixs musicaux avec des parties plus rapides par moment, des accélérations qui amènent une touche de folie à la gestuelle et qui conduisent souvent à des heureux « accidents ».

Pourquoi peindre des freestyles ?

En déstructurant de plus en plus mes lettrages, je me suis rendu compte que mes lettres n’étaient que des formes qui servent de cadres. Du coup, le fond, les contours et le remplissage des lettres ont fini par être sur le même plan. Faire des freestyles m’apporte plus de liberté, des gestes plus longs, des mouvements plus fluides et du dynamisme. Je superpose souvent beaucoup de couches de peinture avant d’arriver à quelque chose qui me parait équilibré et qui me plait visuellement. Ça m’arrive de retourner plusieurs fois peindre sur le même freestyle, parfois avec quelques semaines d’intervalles… C’est à la fois le point fort et faible des freestyles, ce n’est jamais vraiment parfait, ni fini. J’ai toujours envie d’en rajouter ou d’en effacer une partie.

Quels sont les outils que tu utilises ?

Je ne peins jamais sans un Astro fat cap. Sinon j’utilise un peu tout et n’importe quoi pour peindre… quitte a gâcher un mur, au moins j’essaye. La peinture suivante peut toujours être mieux. Bombes percées, pulvo, pinceaux, rouleaux, tout est bon à utiliser.

Quelles sont tes références ?

A peu près tout ce que je vois autour de moi. Que ce soit dans la mode ou le graphisme. Mes références sont principalement en dehors du Graffiti. Il y a des choses à prendre et à apprendre dans tout. Mais c’est compliqué de les intégrer dans mes peintures. Ça m’arrive, par exemple, de choisir des couleurs en fonction d’une photo de mode ou d’une photo en macro d’un insecte. Au niveau Graffiti, je suis plus attiré par les tags et les flops que par les graffs. C’est plus spontané, la gestuelle est plus intéressante.

Réponds-tu à des commandes ?

Je vis de la peinture depuis quelques années. Je réalise des fresques quasiment toute l’année, mais pas forcément dans mon univers personnel. Mon gros problème est de peindre à l’instinct, du coup je peux difficilement faire un avant-projet pour un client. Si j’en fais un, ça me restreint trop de devoir le reproduire, j’ai l’impression de l’avoir déjà fait une fois avant. Du coup, je ne travaille quasiment que sur des commandes où j’ai carte blanche.

Ton point de vue sur le street art ?

Il y a de tout, du bon et du mauvais, mais souvent c’est très mauvais. J’ai du mal a comprendre comment certains artistes peuvent fonctionner alors que le résultat est horrible et qu’il n’y a aucun fond ou aucun parcours derrière. Vu que le street art est autant présent dans les supermarchés que dans les galeries, c’est normal qu’il y ait des produits blancs et des produits de luxes. Ils sont simplement parfois rangés à la mauvaise place. Je me rassure en me disant qu’il en faut pour tout le monde et pour tous les goûts. Au fond : « on est tous le toy d’un autre. »

En quoi consiste ton travail en atelier ?

Ces dernières années, j’ai pu y développer un peu mon travail. Je fais quasiment pareil que sur mur, sauf que c’est plus précis et détaillé. J’essaye de garder ma ligne de conduite musicale, seuls les outils sont adaptés, ils sont plus petits mais j’arrive a garder des mouvements instinctifs. Je travaille beaucoup sur papier, ce qui me permet de faire beaucoup de tests et de jeter les ratés sans trop de regrets.