Unis comme un seul homme, les Caribes franchissent les frontières pour conquérir les dépôts de trains et de métros du continent américain et européen. Originaires du Venezuela, les CMS se sont distingués ces dernières années en peignant de très nombreux systèmes.

Une aventure sans fin qui recèle de bonnes et de mauvaises surprises, régulièrement compilées par Daos. Rencontre avec ces « migrants » latino-américains du graffiti.

Que signifie Caribes ?

Les Caribes vivaient en tribu au Nord des côtes de la Colombie et du Venezuela, et dans certaines îles des Antilles, une région qui s’appelle désormais la mer des Caraïbes en l’honneur de ces tribus. Une tribu connue pour avoir résisté à la colonisation. Toujours prêts au combat et en perpétuel mouvement, ils ne reconnaissaient aucune frontière… on se sent comme eux.

Le voyage fait partie du graffiti : on se déplace d’un bout à l’autre de la ville pour peindre, d’une ville à l’autre, d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre. On a commencé notre voyage sans fin depuis plus de quatre ans, on vit dans des endroits différents en se concentrant sur la peinture, en essayant de mener la vie qu’on s’est choisie. Comme pour ces tribus, la liberté est un concept fondamental pour nous. Le graffiti nous a permis de comprendre cette notion de liberté, de sorte que nos actions, dans le graffiti ou en dehors, vont dans ce sens.

Le travail d’équipe était crucial pour les tribus caribéennes. C’est la même chose pour nous. Pendant presque six années, on a laisse de côté nos blases pour peindre exclusivement le nom du crew. Cela nous a permis de réaliser de belles pièces en peu de temps tout en se faisant beaucoup plus remarquer. C’est aussi plus cohérent à notre goût.

Vous évoquez la liberté et les voyages. Comment s’est déroulée votre expérience en Europe ?

On a grandi en regardant Dirty Handz et beaucoup d’autres vidéos de graffiti européennes. Venir en Europe et peindre les rues et les trains que nous avons vus dans ces vidéos a été quelque chose de brutal. C’est une chose de venir pour un Inter Rail avec un visa touristique, peindre, dormir dans le train, se rendre dans dix villes en un mois… c’en est une autre de venir en Europe en tant qu’immigrant. C’est là que le jeu devient un peu plus compliqué.

Les lois anti-immigration et les contrôles aux frontières ont rendu plus difficile le déplacement des non-Européens sur le continent, ce qui est vraiment dégueulasse. On est des graffeurs, mais avant toute chose, on est surtout des êtres humains. Beaucoup d’entre nous n’ont pas de papiers, nous sommes des personnes en situation irrégulière qui font des choses illégales. Ce détail limite toutes les sphères de la vie, être dans cette situation nous a fait voir le visage du racisme, de la xénophobie, des inégalités, etc. Cette accumulation de choses rend tout plus difficile : obtenir un salaire, se déplacer…

Une anecdote marquante ?

On s’est retrouvé bloqué en Russie parce qu’on ne pouvait pas entrer dans l’espace Schengen. Heureusement, c’était l’été. On a également été détenu pendant des jours à la frontière entre la France et l’Espagne, juste pour des contrôles d’immigration. Une grande partie de nos problèmes sont dûs au simple fait que nous sommes des migrants. On a eu très peu de problèmes en raison du graffiti.

Europe et Amérique du Sud : les pour et les contre

L’Europe, c’est comme un parc d’attraction : il y a plein de trains, de métros, de nombreux pays très proches les uns des autres et très bien connectés : cette facilité de mouvement est d’une grande aide pour collectionner des modèles et peindre dans différentes villes. Aller d’un endroit à l’autre en Amérique du Sud est généralement un véritable périple. Il n ‘y a pas de liaison en train, se rendre d’une capitale à une autre en bus peut prendre plus de 24 heures. Cela donne une touche particulière : chaque pays, chaque région a une identité beaucoup plus forte. L’Europe a plus de police en général et les flics sont beaucoup plus efficaces. De nombreuses villes disposent également d’un vandal squad depuis plus d’une décennie. On essaie de prendre beaucoup de précautions. Tout cela génère beaucoup de paranoïa, surtout quand on vient d’un endroit où rien de tout cela n’existe.

Nous sommes paranoïaque d’une manière différente. L’Amérique du Sud est un endroit beaucoup plus dangereux en général. Les rues sont compliquées, la police est généralement le dernier de nos problèmes. Spécialement dans une ville comme Caracas, l’une des plus violentes au monde. Une fois, on était en train de peindre et tout à coup un homme en moto est venu menacer l’un d’entre nous avec un flingue. Il était complètement défoncé, il disait qu’il allait lui tirer dessus parce qu’il était en train de peindre. On a commencé à parler avec lui et il nous a finalement félicités pour notre travail. Une autre fois, nous étions en train de peindre un panneau publicitaire, un gars s’est mis à nous tirer dessus, comme s’il s’agissait d’un jeu de tir sur cible. Des histoires comme ça, on en a plein.

Un truc positif à propos de l’Amérique du Sud, c’est qu’on peut peindre pendant la journée. Il y a même des endroits où il vaut mieux peindre le jour que la nuit. C’est moins dangereux. Les médias n’ont pas encore diabolisé le graffiti autant qu’en Europe, chez nous, c’est un peu le dernier souci des autorités tellement il y a de problèmes. Les systèmes de métro sont également très différents. Ils ont été peints assez peu souvent, de sorte qu’il y a toujours de nouveaux endroits à découvrir, on peut encore prendre les autorités par surprise. D’un autre côté, cette même ignorance – des autorités et des civils – peut s’avérer problématique. Elle nous rend plus vulnérable quand on est vu dans une situation suspecte.

La première chose qui leur vient à l’esprit, c’est que tu vas voler, tuer ou quelque chose comme ça. La dernière chose à laquelle ils vont penser, c’est qu’on vient faire des graffitis. Une autre chose importante, c’est que dans de nombreuses villes d’Amérique du Sud, on ne trouve pas de bonnes bombes de peinture, et quand on les trouve, elles sont très chères. Ça nous motive pour exploiter notre créativité et surmonter ces lacunes.

Des projets ?

Continuer de peindre. Le monde est vaste et on a encore beaucoup de choses à découvrir. Maintenant que nous sommes plus adultes, nous nous soucions beaucoup plus de la manière dont nous documentons ce que nous faisons, on s’interroge sur la manière de donner un peu plus de permanence à quelque chose d’aussi éphémère que le graffiti. En parallèle, on a d’autres projets qui ne sont pas directement liés au graffiti mais qui s’en nourrissent. Certains d’entre nous font de la photographie, de la vidéo, de la musique, de la peinture. Tant que cela nous rend heureux et libres, on continue. Les possibilités sont infinies. Pour la première fois, on a beaucoup de matériel documentaire. Malheureusement, le racisme et la xénophobie se renforcent dans notre région au sein de la communauté latino-américaine. Notre intention est donc de s’attaquer à ce problème et de le combattre d’un point de vue plus documentaire.

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