J’ai commencé à me passionner pour le graffiti à la fin des années 90. Je vivais alors à Noisiel, une ville de la banlieue Est parisienne. Dans les alentours, il y avait une scène graffiti reconnue : Skeo, Kesie ou Lire sont vite devenus des modèles. Dans les alentours, il y avait aussi des crews célèbres comme les T?C ou les CIA. Pour tout le monde, Marne-la-Vallée, c’est le parc Disneyland. Pour nous, cette concentration de villes nouvelles était un terrain de jeux ou il fallait rompre avec l’ennui. Nous étions à vingt kilomètres de Disney et à vingt kilomètres de Paris.

Au milieu des quartiers pavillonnaires et des cités, il n’y avait pas grand chose pour s’épanouir culturellement et artistiquement. Lorsque j’ai écouté No Fun des Stooges pour la première fois, j’ai trouvé que ça résumait bien ces années. Dès 2001, je ne fréquentais plus que des tagueurs. A l’époque, tu connectais les gars via Aero.fr ou le chat Caramail. J’ai passé ces premières années à peindre en continu avec les OPS et les BIGS, essentiellement des terrains, des autoroutes et des voies rapides. A partir de 2006, plusieurs d’entre nous se sont consacrés au militantisme. Nous étions alors plusieurs OPS à fréquenter le Virage Auteuil du Parc des princes. La « guerre des tribunes » contre le Kop de Boulogne couvait depuis plus de deux ans. Elle éclata parallèlement au mouvement étudiant contre le CPE. L’implication dans les milieux Antifa/Redskins a été un moment assez excitant et inspirant qui a eu une influence sur certains de nos graffitis. Pendant que certains d’entre nous se concentraient sur le roulant, débutait un second souffle pour les OPS. Une période de plusieurs années où nous nous sommes retrouvés quasi quotidiennement à traîner et à faire la fête dans Paris. D’un point de vue graffiti, cette bromance s’est plus traduite par des tags en sortie de bars que par des plans organisés.

Après deux années usantes de conflit professionnel en 2014 et 2015, je me suis mis à peindre intensivement sur papier et sur toile sous le nom de Colarescu. J’essaie de proposer un travail sincère influencé par mes expériences, le modernisme, mes lectures et évidemment le graffiti.

#1 Merveilles vestimentaires

Ce n’est pas spécialement passionnant de fouiner dans les vieux books et de revoir les graffs moches de nos débuts. En revanche, ça permet de rire en voyant nos tronches et surtout de redécouvrir quelques merveilles vestimentaires comme ces survets du marché, imitation Triiad. Ce plan fastoche de la ligne A était composé de trois murs. Le premier avec des graffs anciens et cool qui tenaient : Enso, Osta, Kesy ou encore Skeo et les deux autres avec surtout des graffs de newbies et du repassage. Cette photo a 18 ans.

#2 Marne-la-Vallée en force

Un graff peint en 2010 avec Wake. Il me semble que c’est Fluor qui en premier a eu l’idée de représenter MLV. Il y avait une sorte de crew informel qui était les MLVS, qui mêlait des BIGS et des OPS de Marne-la-Vallée. En 2009 lors d’une soirée dans un appart, on s’est tous fait tatouer ce logo croix.

#3 Le métro fantôme de Noisy-le-Grand

Lorsque nous avons pu pénétrer pour la première fois dans les stations et le tunnel du SK, le métro fantôme de Noisy-le-Grand, c’était comme être dans nos catacombes à nous. Si la plupart des gens se sont rués sur les cabines neuves, restées vierges depuis 1993, j’ai cherché en priorité à récolter des souvenirs dans les stations et dans les placards abandonnés, mais aussi à scruter d’éventuelles traces de writers passés par ce tunnel lors de la construction dans la fin des années 80. Malheureusement, les lieux ont rapidement été dégradés et à plusieurs reprises la mairie a fait en sorte de murer les accès. Cette photo date de 2015, j’étais descendu avec Worst, Zyrdé et quelques bougies. En sortant du tunnel et de la pénombre, nous sommes tombés nez à nez avec deux fans d’urbex qui nous ont pris pour des flics et qui ont bien flippé.

#4 On Persiste et Signe

J’ai choisi cette photo parmi des tonnes de photos de groupe, car c’est la dernière en date. Nous avons fondé les OPS en 2002. Ça a toujours été un groupe de copains avant tout, comme on en rencontre peu dans le monde du graffiti. Certains ont tout de même été bien actifs pendant de nombreuses années, mais sans se prendre trop au sérieux. A un moment donné c’était assez punk, d’où la réputation d’un « crew de pintes plutôt qu’un crew de peintres ». Forcément, à force d’être fourrés ensemble – nous n’avons jamais été trop dans les connexions – tu rencontres des hauts et des bas, et parfois des embrouilles. Mais plus de quinze ans après, l’essentiel de mes meilleurs amis sont des membres du groupe.

#5 Une chrome, une noire, le kiff

Pas besoin d’écrire un roman. Une chrome, une noire, un vieux mur lisse : le kiff. Même si au fil des années j’ai évolué et parfois changé un peu de style, je reviens souvent inconsciemment vers ce style plutôt classique new-yorkais.

#6 Binôme parfait

De loin, c’est avec mon pote Wake que j’ai le plus peint. De très loin, c’est avec lui que j’ai fait le plus de pièces organisées comme celle-ci. Repérage de spot (souvent par lui), couleurs en commun, lettrages voir même persos, c’est le binôme parfait. De plus, il supporte l’En Avant de Guingamp, ce qui force le respect.

#7 Naples Ultra

Naples n’a ni la beauté ni la richesse artistique et culturelle de certaines villes italiennes, mais pour moi cette ville regorge de fresques et graffiti non hip hop passionnants et inspirants. Des fresques innombrables des Ultras des Curva A et B, des fresques politiques/slogans anti-flics, ou encore des conneries comme des teubs sur des églises, il y a quelque chose de vivant, de fou et de ressourçant à Naples qui s’oppose à l’aseptisation des nombreuses grandes villes gentrifiées européennes.

#8 Vecchio Stile

J’ai fait quelques graffs avec Wake, comme celui ci en 2016, en clin d’œil à l’esthétique Ultra italienne des années 70 et 80. Ça permet de sortir de la routine et de ne pas faire les mêmes styles en permanence. Celui-ci est une référence aux banderoles d’un groupe mythique de l’Atalanta Bergame, les Brigate Neroazzure. J’étais persuadé que personne ne s’intéresserait, ou prêterait attention à ce genre de références, lorsque j’ai peint ces murs, ou quand j’en ai fait des écharpes de foot siglées OPS. Un peu comme un mec qui collectionne des trucs bizarres dont tout le monde se fout. Finalement, j’ai appris que ces esthétiques étaient enseignées aux élèves d’une prestigieuse école de design en Suisse… comme quoi.

#9 Art Moderne

Je peins beaucoup sur papier et sur toile depuis quelques années, à la gouache et à l’acrylique. Je n’ai pas eu de formation artistique, j’ai travaillé seul dans mon coin, influencé par les figures de l’Art Moderne, mais aussi par des artistes issus du graffiti comme Stephen Powers ou Todd James.

#10 Usine abandonnée

J’ai beaucoup peint l’année dernière dans des spots dingues de mon pote Htkc, à une heure de Paris, dans le nord. Des immenses usines abandonnées, avec de beaux murs vierges. Il y a parfois une forme de mélancolie en voyant ces meubles, ces bureaux, ces outils et des tenues abandonnés sur les lieux. Ces petites villes dans les villes qui tombent en ruine, ou la nature reprend ses droits. Sur ces graffs récents, j’essaie d’intégrer peu à peu des touches de mon travail sur toile.

#11 Fresque en jardin

Un couple d’amis m’a laissé carte blanche pour peindre un mur de dix-sept mètres dans leur jardin en Novembre dernier. Une fresque peinte à la bombe et au pinceau, une bonne occasion de réaliser sur mur ce que je fais sur toile et papier depuis un moment.

#12 Vive le Feu

Sur ce cliché, on voit un extrait du zine que j’ai réalisé dernièrement avec un pote photographe, Arnaud Sommier. Il s’agissait d’associer un texte des Béruriers Noirs, Vive le Feu, avec des photos prises à Paris pendant le mouvement contre la réforme du Code du travail. Je trouve difficile de traduire ses engagements en tant que peintre, en évitant les clichés. Je le fais donc sur des projets comme celui-ci, ou encore en m’impliquant dans la communication et la propagande de groupes, d’associations ou de syndicats dans lesquels je me reconnais.

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