Je fais du graffiti depuis 2006, avec une affection particulière pour les ambiances ferroviaires. En parallèle, depuis plus d’une dizaine d’années, j’arpente les lieux oubliés, en quête de découvertes. Ces capsules temporelles me procurent toujours la même adrénaline et l’envie d’immortaliser, à travers la photo et la peinture, ce que ces endroits chargés d’histoire m’inspirent. Actuellement je développe un travail de peinture autour des photos que je découvre dans ces lieux.

J’ai compilé tout ça dans un livre qui sortira en Décembre. Ça fait quatre ans que je me consacre entièrement à la peinture. C’est devenu mon travail à plein temps.

#1 Guet-apens

Brainstorming dans l’appartement d’un pote pour savoir qui trace les lettres, qui remplit… On prépare les sacs et on fonce, direction la ruche. Un beau Z2 nous attend. On s’active pour peindre ce end-to-end avec passion. On termine la déco pendant que deux potes vont peindre deux autres panels sur les autorails du fond. Clairement, c’était de la gourmandise.

Pas loupé, pendant que l’on range le matos, l’un de nos potes arrive en courant en nous prévenant qu’un chauffeur appelle les flics. Branle-bas de combat. On court avec les chaises et les pots jusqu’à la voiture garée à cent cinquante mètres de l’entrée du spot.

On avait eu la bonne idée de prendre la vieille Mondeo break du pote, celle qui de temps en temps te fait une frayeur. On est tous les quatre dans la bagnole, essoufflés comme des asthmatiques qui viennent de courir quatre cents mètres sans Ventoline. Le copain démarre, marche arrière, et cale au milieu de la route. Impossible de redémarrer. Ambiance nerveuse. Les secondes sont des heures. Ça redémarre, on fait cent mètres pour déboucher sur un stop et un sens unique.

Une voiture de flics passe à fond avec sirène et gyrophare. Mon pote embraye tranquillement derrière. Là, on se rend compte qu’une autre vient de nous rattraper et nous prend en sandwich. Quatre lascars dans une bagnole remplie de peinture, on est morts. On fait cinq cent mètres comme ça jusqu’à un rond-point. La première voiture tourne direction la gare, on file innocemment tout droit pendant que la seconde tourne également pour suivre sa copine.

Merde, les mecs nous avaient en sandwich sans le savoir.

#2 A la ferme

Après quelques recherches, je découvre une ferme abandonnée en plein centre d’un village. J’entre facilement dans le jardin. Je trouve dans la cuisine des courriers et des photos. La pièce est restée en l’état. Mais d’autres sont complètement sans dessus-dessous. Sur la table, je trouve une photo de communion qui retient mon attention. Je prends en photo un fusil posé sur la table que je peins ensuite sur le mur de la maison. Je trouve ça très percutant d’avoir cette peinture à l’entrée de la ferme.

Cette maison a énormément enrichi ma pratique car j’y ai découvert beaucoup de photos. J’ai pu retracer la vie de ces gens à travers tout ça et commencer plus sérieusement mon travail d’hommage pictural.

Un an et demi après et beaucoup de travail sur le sujet, je décide de sortir un livre : Forgotten People, qui est en ce moment en phase de financement sur la plate-forme KissKissBankBank, ouvrage d’une centaine de pages retraçant des aventures dans différents lieux abandonnés. Des découvertes qui m’ont amené à peindre dans ces lieux chargés d’histoire, à utiliser les photos argentiques trouvées sur place et à les peindre partout où je pouvais en multipliant les supports.

#3 Wasteland

Et si par quarante degrés sous le soleil, on allait peindre à la casse ? Super idée. Ça fait deux ans que j’investis une ancienne casse dans le nord de Clermont-Ferrand avec mon pote Zoer. J’avais depuis longtemps envie de peindre cette photo Polaroid trouvée dans une maison. Je m’arrange pour faire empiler deux épaves. Attention là-bas, c’est le Wasteland. Expédition pour aller chercher de l’eau en esquivant les serpents et les gitans qui font des runs en Golf 3 VR6 sur le chemin principal, faut bien la décrasser mon copain.

La casse, c’est un monde à part où le temps a dû s’arrêter aux alentours de 1986. Téléphone en bakélite, pas d’ordinateur. Elle est tenue par Michel qui approche les 80 ans et par ses compagnons, les gens du voyage. Une bien belle ambiance. Dialogues d’Audiard et 12 sur le comptoir. Tu bronches pas !

D’ailleurs, la première fois que j’ai voulu tester mon drone, Michel a failli me le dégommer comme on tire une perdrix un dimanche matin après trois verres de rouge. On l’aime notre casse.

Je peins tant bien que mal et je jette un œil sur ce que fait mon collègue. Je le vois passer déguisé en touareg du ghetto, deux t-shirts sur la tête, une sorte de burqa du pauvre où l’on ne voit plus que ses yeux et ses bras recouverts d’une épaisse couche de crème solaire. Je me fous évidement de lui tout en restant confiant sur ma génétique de méditerranéen. De la crème ? Jamais, t’es fou ! Résultat : mollets, nuque et bras complètement brûlés pendant une semaine.

#4 La Débauche

La brasserie La Débauche est une petite structure qui a su très vite grandir. Producteur de bières assez techniques et très fortes aussi. Des bouteilles avec de jolies étiquettes, mais qui peuvent te faire rencontrer l’ivresse plus vite qu’une bouteille de rhum agricole. Après avoir travaillé ensemble sur plusieurs étiquettes, j’ai eu le plaisir d’avoir à gérer la réalisation de la façade de leur nouveaux locaux. Contraintes ? Aucune, il fallait que ça soit barge et que ça pète. Y’a pire comme job !

#5 Lost in Translation

Il y a cinq ans en été, je pars chez mon pote Azot dans le Sancerrois pour quelques jours de graffiti. Un superbe séjour.

Sur place, il y avait sa copine de l’époque, une danoise et deux contraintes. Je devais voyager à l’arrière de la voiture et on devait parler en anglais avec elle. Azot à force de tenter des choses avec son petit dico sous la main, arrivait à enchaîner quelques phrases d’un anglais approximatif coupé d’un accent du Lot. Mais moi, je n’avais pas dû prononcer une phrase en anglais depuis la terminale. La communication n’était pas toujours simple. Les nuits de peinture s’enchaînent : perches, chromes, rocades, voies ferrés. Gros rythme et petites nuits.

Un soir, en faisant un chrome sur une maison abandonnée, je gère mon remplissage en faisant un pas sur la droite. Je tombe dans un soupirail qui mène a la cave. Technique de disparition comme dans Ninja Kid 2.

Après trois jours de stage d’anglais soutenu, on était quasiment bilingue. A tel point que mort de fatigue, un soir en rentrant d’une belle action sur autoroute, j’ai voulu lui expliquer un truc, sûrement hyper important à cette heure de la nuit. Je lui parle en anglais, alors que nous ne sommes que tous les deux. Je galère à trouver mes mots et le vocabulaire pour exprimer mes pensées. Il me pose des questions en anglais pour tenter de comprendre. Impossible de réussir à m’expliquer, jusqu’à ce que je lui dise :

« Attends, mais putain, je vais te le dire en français en fait, on est trop cons !  »

C’était cool cette époque où on n’avait pas vraiment de responsabilités. La vie va vite en vrai.

#6 Réveil brutal

J’attends un copain à la gare, pour préserver son anonymat, on l’appellera Bob. Je récupère donc Bob et on file, voiture chargée vers l’une des villes les plus perdues de France. On passe sur le pont en voiture pour voir ce qu’il y a à manger. Chance, un Z2 avec les cabines allumées. Une belle trouvaille, en 2017, ça commençait à manquer cruellement. Un bien beau cadeau. On prépare nos affaires et on se gare pour avancer furtivement vers l’objectif. Avant de commencer nos méfaits, Bob et moi décidons d’immortaliser la bête. Le lendemain matin, après avoir passé une nuit dans la voiture par cinq degrés, on se retrouve dans le café du village. Le genre d’endroit où le verre de blanc à 9h n’est pas un mythe.

#7 Peindre un train… pour la SNCF

Par le biais d’une connaissance, on me contacte pour peindre un wagon qui sert de bureau roulant à une équipe travaux basée à Saint-Pierre-des-Corps. Le nom est lâché, je vais donc me pointer dans un des plus gros technicentres français pour peindre un train, avec un chèque de la SNCF. Le paradoxe total. L’occasion était belle et l’équipe travaux super accueillante.

J’ai finalement décoré trois wagons qui se déplacent désormais dans la région Centre, selon les chantiers.

Cette aventure m’a permis de vivre des expériences intéressantes comme aller récupérer des clefs dans les bureaux de la police ferroviaire, me balader en short peinture et gilet orange dans le dépôt et saluer tranquillement des chauffeurs en pleine nuit. J’ai pu aussi voir passer un tas de frets remplis de pièces connues, et récupérer un pass magnétique qui permet d’ouvrir plein de dépôts français.

#8 Au fond du garage

Une grande maison en bord de route accolée à un atelier. Dans le fond du jardin, deux caravanes, deux bateaux et quelques voitures prisonnières des ronces.

Nous entrons dans la maison par une porte-fenêtre. Le rez-de-chaussée est rempli de sacs poubelle de jouets et autres affaires. Il y a des cartons partout. Comme si quelqu’un était sur le point de partir. La pièce est un bureau pouvant servir d’accueil, mais c’est aussi un salon avec de grands buffets. Cette maison est remplie de buffets, eux-mêmes remplis d’affaires. On avance jusqu’à ce qui paraît être une cuisine où rien n’a bougé. Accolée à la gazinière, il y a une baignoire et un évier avec une glace.

Étrange. On a du mal à comprendre l’organisation de la maison. Il y a beaucoup de désordre et on dirait que la maison était en constante rénovation. On découvre l’étage, un palier avec encore des buffets et une installation électrique pas vraiment terminée.

Il y a une chambre qui semble être celle d’un ado. Je pense que cette famille ne roulait pas vraiment sur l’or, vu l’état intérieur de la bâtisse. Le jeune homme dormait dans une pièce où les murs intérieurs étaient bruts, pas de tapisserie, pas d’isolation. Malgré tout, sa décoration personnelle est là. Poster de l’Euro 2000, du pape et du tuning. Le garage offre de jolies surfaces agrémentées d’un tas d’objets tout aussi dépareillés que la maison.

#9 Toile sur fret

Je suis à Nantes quelques jours pour peindre. Mon pote Moner me propose d’aller peindre un fret dans un plan vraiment cool. Mortel. Je décide de prendre une photo trouvée dans une maison abandonnée pour faire une peinture figurative au pinceau, sur le monstre d’acier.

On roule, on rode jusqu’à une petite cité. Voiture garée, on s’enfonce dans un sous-bois avec le matos. Évidement, pour mon objectif je suis chargé comme un népalais. On marche quinze minutes dans un sous-bois en direction du plan. Je m’arrête à peu prés tous les douze mètres en ne me plaignant presque pas, mais les cabas me coupent les mains. Et cette enflure de Moner qui se fout de ma gueule, forcément. Une fois arrivé sur place, la mission est de trouver une place libre. Après avoir fait le tour du train, on réussit à se placer tant bien que mal.

Une heure sur place à esquiver les moustiques tout en jetant un œil sur le petit chemin en contrebas. On est plutôt bien pour peindre.

Finalement, je termine avant Moner qui s’est lancé dans une pièce vraiment bien plus grande que lui, difficile pour son physique d’escalope panée. Sur le retour, je me repasse les documentaires sur les sélections du GIGN pour me convaincre que porter ces cabas trop lourds sur des distances de plus de vingt mètres est juste une question de mental.

Épuisé, je me tape des accélérations de légionnaire pour gagner du temps. Évidement, l’autre en profite pour me chambrer avec sa chaise pliante et ses dix sprays vides.

Bref, je suis assez fier de cette peinture. J’imagine vraiment l’impact que cette carte postale procurera. Jean et ses skis sont bien partis pour faire quelques milliers de kilomètres .

#10 Neige & Rouille

Un vieux Trafic et une photo de vacances à la neige, logique. J’ai trouvé dans une maison abandonnée toute une série de photos de ski des années 70. J’aime le décalage qu’elles apportent. On dirait une affiche collée sur la carrosserie. Le contraste est intéressant, cette image pleine de joie au milieu du cimetière de véhicules.

#11 La soucoupe et le perroquet

En 2016, on m’indique l’emplacement de la maison de la soucoupe et le perroquet, un lieu rendu mythique par l’émission Strip-Tease. On décide d’y faire une expédition.

La soucoupe n’est plus présente dans le jardin. Elle a été déplacée sur un terrain appartenant à la commune car les riverains se plaignaient des va-et-vient incessants des curieux.

La maison quant à elle est toujours là, au milieu d’un jardin en friche. On entre, elle est vide ou presque, il reste une table et un évier. Sur la cheminée est dessiné un triangle avec trois points en référence au Triangle des Bermudes.

Au grenier se trouve une chambre, celle de Jean-Claude, ce héros amateur de la conquête spatiale. Là aussi, plus rien, hormis un planisphère déchiré, mais recouvert de punaises à certains endroits clefs et un portrait de la vierge près d’une fenêtre.

J’avais récupéré une photo de Jean- Claude et de sa mère sur le net. Je décide de la peindre sur la façade. Esquivant quelques tracteurs en maraude, je réussis à finir la peinture et à filer. Jean-Claude et sa mère sont immortalisés sur leur maison.

#12 Une dernière soirée

Perdu dans un petit village de Bourgogne, un AGC tête jaune et rouge nous attend, camouflé dans le noir. Après une belle semaine de bêtises à cinq, c’est notre dernier soir. Le pote qui conduit nous dit qu’il a la flemme de peindre. Il nous laisse le dessert. Malgré nos tentatives pour le motiver, on part sans lui. Après avoir observé le plan, nous passons à l’attaque. Le bruit des sprays dans la nuit. La légère brume qui nous entoure. Tout à coup, le pote qui est à l’extrémité se met à hurler. On se met tous à détaler dans la direction opposée. En essayant de ne pas se prendre les pieds dans les traverses, on court le plus vite possible, je me retourne pour voir si le mec nous suit. Je le vois faire le tour du train. On se pose deux minutes pour l’observer faire des  aller-retours entre le quai et l’autre coté du train. On continue à s’arracher, et malheureusement, pas d’autre choix que d’aller dans la direction opposée de la voiture. On escalade un grillage, on traverse une forêt pour finir sur un pont. On trouve un coin tranquille pour souffler et dire à notre pote de venir nous chercher. Je rallume mon téléphone. Je vois qu’il a essayé de m’appeler. Ne nous voyant pas revenir, il devait s’inquiéter. Je rappelle…

« Allo, ouais putain viens nous chercher on est en galère.  »
« Ptain, mais c’est moi.  »
« De quoi c’est toi, nous on s’est fait courser par un mec.  »
« Mais nannn, mais c’était moi !!  »
« Sérieux ??  »
« Bon j’arrive.  »

Effectivement, après avoir eu des remords, seul dans la caisse, il s’est dit qu’il allait venir avec nous. Forcément, quand tu vois un mec tout en noir arriver sur le quai, tu n’attends pas qu’il vienne te donner l’heure. Le pire, c’est que pendant notre cavale, il a fait un panel en nous attendant. Du coup, on est retourné finir nos pièces tout en rigolant de cette mésaventure.

Plus de photos de Kegrea ici.