J’ai découvert le graffiti en 1994, à 13 ans, lorsque je suis revenu vivre en France. J’étais assez réservé, je ne parlais pas bien la langue et je ne connaissais personne. Du coup, je me suis vite retrouvé exclu dans la cour de récré. Seul dans mon coin et passionné par le dessin, j’ai découvert le graffiti. J’y comprenais rien à l’époque, j’avais personne pour m’expliquer les bases, j’étais livré à moi-même pour en découvrir les rouages.

J’ai fait mes premiers graffs au Mans, inspiré par des graffeurs locaux qui défonçaient : Simak, Reab, Dizo. J’engrainais des potes pour peindre avec moi, mais ça n’intéressait personne à l’époque. Petit à petit, j’ai commencé à rencontrer d’autres graffeurs : Extrem, Djuk, 1Tens. J’ai enfin pu entrer dans l’univers du graffiti. A partir de ce moment, j’ai été obsédé par le graffiti, le weekend à peindre des grosses prods, en semaine je sortais faire de la rue et des tunnels seul ou avec Hobs ou Muldy. J’ai eu beaucoup de périodes différentes, alternant peintures dans la rue et dans les terrains, selon l’inspiration et les rencontres. Contrairement à certains graffeurs, je ne me suis jamais contenté de peindre qu’avec des gars de mon crew, je préfère peindre au gré des rencontres et avec des gens avec lesquels je m’entends bien. Pour moi, le graffiti est un tout, il faut être capable de tout faire. On peut kiffer un aspect plus qu’un autre, mais il faut tout essayer. J’aime autant un gros tag dégueulasse qu’un wildstyle super léché. Il n’y a rien de plus chiant qu’un gars qui fait toujours la même pièce en changeant les couleurs. Je suis resté à Paris jusqu’en 2006, puis j’ai décidé de tout quitter pour aller vivre en Chine. Cela devait être temporaire, six mois, un an maximum. Comme j’ai adoré, j’y suis resté.

#1 Course poursuite à Guangzhou

Je venais de m’installer à Guangzhou en Chine et mon meilleur pote Sytoze de Paris était venu me rendre visite. Ce spot est sur une artère majeure, je l’avais repéré pour son arrivée. Cela dit ce n’est pas autant ce spot que celui qu’on est allé faire après qui fût mémorable. Depuis quelques mois, avec d’autres graffeurs locaux, on s’était mis à faire des panels sur les bus publics. Les dépôts sont situés en centre-ville, entourés d’immeubles et très accessibles. Du coup avec Sytoze, on voulait être les premiers à faire un end-to-end sur l’un d’eux. On avait repéré la cabane du garde et on avait choisi un des bus en fonction. Sice et Yys, des graffeurs locaux, faisaient le guet pendant qu’on peignait. Au cours de l’action, ils nous avertissent de la ronde du garde. On se planque deux bus plus loin et de là on voit que le garde a repéré la peinture fraîche. Il fait le tour du bus et contemple nos pièces pendant quelques minutes puis retourne lentement en direction de sa cabane. Sytoze se tourne vers moi et propose qu’on y retourne faire le outline en one shot, et qu’ensuite on se sépare. Un avec les bombes d’un côté, l’autre en retrait qui prend la tof. On s’était dit qu’on pourrait facilement semer un garde seul en se faufilant entre les immeubles. Du coup, hop on y retourne. Je fais le contour en speed et me casse avec les bombes. Je pars dans une direction et passe devant un resto avec plusieurs chinois attablés. Je continue pépère puis j’entends un coup de sifflet, je fais comme si de rien n’était mais ça commence à gueuler. Je me retourne et d’un coup, je vois au loin le garde en train de courir dans ma direction. Tous les chinois du resto me pointent du doigt et se lancent à ma poursuite. Ce qu’on n’avait pas pris en compte, c’est qu’à Guangzhou chaque complexe de bâtiment a un ou plusieurs gardes et qu’ils communiquent entre eux. Même s’il n’y avait qu’un garde officiel dans le dépôt, il était en fait protégé par toute une troupe. Panique, je cours aussi vite que je peux avec des gars qui sortent de partout. Je vois un taxi arrêté à un feu et j’arrive à sauter dedans en gueulant plusieurs fois un des seuls mots chinois que je connaissais : « Idzuozuo » (tout droit) Le chauffeur me regarde puis se retourne, voit la foule et accélère direct. Juste à temps car un garde venait de choper la poignée. Je m’en suis sorti. Soulagement. J’ai filé un énorme pourboire au chauffeur pour m’avoir sauvé. Retour chez moi, je retrouve Sytoze qui avait pu s’esquiver tranquillement avec nos deux potes chinois. Malheureusement aucune photo n’est sortie correctement. Ceci dit, le premier spot qu’on a réussi à peindre le long de la petite rivière a tenu plusieurs années.

#2 Dongguan, capitale du vice

Dongguan, huit millions d’habitants dont 10% employés dans la prostitution. Pendant longtemps, c’était le passage obligé de tous les hongkongais et des employés du gouvernement corrompu. La ville avait bâti sa réputation sur les karaokés et les salons de massages libertins… le plus grand bordel de Chine, le gouvernement fermait les yeux, tous les flics étaient payés et cela profitait à tout le monde. Avec Huri, un pote de Shanghai, on avait été embauché pour peindre un totem dans une usine basée à Dongguan, pour une expo quelconque à Hong Kong. Le jour de notre arrivée, juste avant l’atterrissage, toute la ville fut mise sens dessus dessous. Des brigades de flics ont fait des descentes dans les bordels. Venus des quatre coins de la Chine pour combattre la corruption, ils ont arrêté presque tout le monde. La ville du coup était entièrement sous verrou avec des flics partout. Perso, on était tranquille, mais ça nous a un peu refroidis pour peindre dans les rues. On a quand même réussi à se faufiler ici et là pour dégotter ce petit toit pas loin de mon hôtel.

#3 Le diablotin de Hangzhou

En 2007, ça faisait presque un an que j’étais en Chine et je surkiffais. Je pouvais peindre tranquille, j’avais un bon cercle de potes et une nana. Par contre, je ne pouvais pas supporter ma patronne. Une française qui accusait tout le monde et qui ne prenait aucune responsabilité. Du coup, j’ai démissionné, un peu de la même manière que dans la pub pour La Française des Jeux, mais ça c’est une autre histoire. Le problème c’est qu’à l’époque, trouver un boulot dans le design en Chine sans parler chinois, ce n’était pas évident. Il fallait se mettre dans l’import/export ou devenir prof, mais aucun de ces deux métiers ne me convenait. Du coup, seule solution : bouger vers Shanghai ou Beijing. Ma copine trouve alors un boulot à Hangzhou, une ville proche de Shanghai, je bouge avec elle en attendant de trouver quelques chose. Je passe quelques entretiens et j’attends. Les réponses tardent à venir et je commence un peu à paniquer. Dans un délire, je crée ce petit D diablotin et je passe mes journées à parcourir la ville en le posant un peu partout. Un mois après, je reçois une réponse positive pour le poste que je voulais et je déménage sur Shanghai. Cela me fait toujours plaisir de revoir cette photo car cela fait partie d’une période où j’étais un peu perdu, content d’être là mais dans une position délicate, sachant que je ne voulais surtout pas revenir en France.

#4 Sytoze R.I.P.

Sytoze était mon partner in crime. On faisait tout ensemble. On a beaucoup voyagé et peint ensemble, que ce soit en France, aux États-Unis et en Chine. Il était comme un frère. On avait le même âge et les mêmes délires. Il était toujours prêt à sortir peindre, faire la teuf et draguer des meufs. On a visité New York pour la première fois tous les deux, alternant peinture et visite le jour, puis peinture et soirée le soir. En Chine, il est venu me rendre visite à quatre reprises. Il y a tellement d’histoires à raconter sur nos aventures, mais ce sera pour une autre fois. Quelques années après sa mort, je suis tombé sur un de ses stickers dans une boite à Shanghai. Un qu’on avait posé ensemble lors de sa dernière visite, qui miraculeusement ne s’est pas fait arracher ou recouvrir au fil des années. Repose en Paix.

#5 Bad Monkey

En 2010, j’étais en balade dans le Yunnan avec David, un pote qui était venu me rendre visite. Le Yunnan est une région en Chine vraiment magnifique avec les montagnes, les forêts de bambou, les rizières. Visite oblige, il faut que je laisse une marque là où je passe. Je trouve des bombes et je cherche des spots. Ça ne manque pas. Idéalement, je veux un spot qui reste et qui est visible par le maximum de personnes. J’ai donc repéré un mur en face du bar le plus populaire de la ville : Le Bad Monkey. Un bar bien sympa dans lequel se retrouvent des gens de passage, des locaux et des expatriés. Les prix sont abordables et on ne se sent pas agressé par une musique de merde et de l’alcool de contrebande. Le problème, c’est que, comme tout bar populaire, il est assez blindé et ferme tard. Officiellement, tous les bars doivent fermer à 2h du matin. Je décide donc de rester jusqu’à la fermeture. Mon pote lui préfère rentrer à l’hôtel et je le laisse partir. Je picole et tape la discute avec des gens. Vers 2h30, je me prépare à peindre, mais le bar ne ferme pas. J’attends, toujours rien. Les gens squattent dans la rue un peu partout et surtout devant le mur. Préférant ne pas avoir à peindre devant un groupe de gens bourrés qui demanderont sûrement s’ils peuvent essayer, ou si je peux marquer leur faux blase sur le mur, je choisis plutôt de repérer le manager du bar et d’aller taper la discute. Je lui balance quelques louanges sur son établissement puis discrètement, j’insiste gentiment sur le fait qu’on peut l’entendre du bout de la rue. Là, il panique et demande à tout le monde de rentrer et ferme les volets pour ne pas recevoir d’amende. Je m’éclipse juste au moment ou il ferme la porte. Puis je pose tranquillement mon bloc en face, sur le mur que j’avais repéré.

#6 Mission train à Taïwan

On est parti en vacances avec Aigor à Taïwan. J’avais quelques contacts sur place et on a pu faire le tour de l’île tout en peignant. On avait absolument envie de faire un roulant avant de partir mais c’était devenu un peu tendu concernant le graffiti. Le gouvernement venait de lancer une nouvelle campagne de nettoyage et de prévention en incitant les gens à dénoncer les graffeurs contre une récompense. La plupart des graffeurs avait décidé de se mettre en hibernation. Cela ne nous a pas empêchés de peindre la ville, mais en ce qui concerne le roulant, c’était un peu plus difficile de trouver quelqu’un pour nous aider. Dabs avait entendu parler d’un plan et on a décidé de le faire. C’était un dépôt de métros type RER, qui desservent les environs de Taipei. Il y avait deux accès, un par les voies et l’autre par la rue. On a d’abord essayé l’accès rue, mais on est tombé sur un chenil situé entre nous et le train. Impossible de passer sans réveiller les chiens, qui avaient déjà commencé à aboyer. Dabs voulais remettre le plan à une prochaine visite, mais ni Aigor ni moi n’avions envie de quitter Taïwan sans avoir au moins essayé. On a donc décidé de faire le grand tour et de passer par les voies, trajet un peu plus périlleux mais faisable. Dans le dépôt, on a choisi la rame la mieux placée, visible aussi de la rue, ce qui nous permettait d’observer les allers et venues en cas d’incident. On sépare le wagon en trois pour un bon end to end, et on commence à peindre. Au bout de cinq minutes, on entend une sirène. En se retournant, on aperçoit dans la rue une voiture de police qui allume son gyrophare et fait un demi-tour en direction de l’entrée du dépôt. On se dit que c’est pour nous. Heureusement, j’avais presque fini. On se taille en speed en rebroussant chemin, l’accès rue paraissant compromis. On continue le long des voies puis on trouve un mur qui parait assez facile à escalader. On finit tous les trois de l’autre côté, face à un pompier en pause clope. Super malin de passer au-dessus sans regarder avant. Le gars hallucine mais reste immobile, on était peut-être les premiers étrangers qu’il rencontrait. On se casse dans la rue puis dans un salon de massages super crade à attendre un peu que la situation se calme. Une heure plus tard, on sort et on remarque qu’il ne semble pas y avoir grand-chose, on retourne vers le dépôt. On note depuis la rue qu’il n’y a pas grande activité. Aigor retourne dans le dépôt pour prendre les photos et on repart tranquillement. Fin des vacances, retour au pays. Le plus marrant c’est que quelques jours plus tard, Dabs nous envoie un lien, nos panels sont passés aux infos avec des interviews d’experts et de politiciens convaincus qu’on allait vite être attrapés. Au final, ils se sont aperçus des pièces seulement au petit matin. Tout le dépôt n’était jusqu’à présent pas gardé le soir…on aurait pu peindre tous les wagons tranquillement.

#7 Warriors… come out to play!

A Shanghai, il y a un hall of fame super tranquille dans la rue Moganshan. Au début, le graffiti y était interdit comme partout ailleurs, mais petit à petit, en raison de la proximité avec les galeries d’art, c’est devenu un spot légal. Il y avait un vieux gardien relou qui n’arrêtait pas de prendre la tête à tout le monde. Il était en charge de la sécurité d’un quartier en démolition et considérait qu’on était tous des vandales étrangers qui n’avaient rien à faire là. Au bout de quelques années, son quartier fut détruit, il a donc dû partir. On a enfin pu se mettre à peindre sur la partie du mur qu’il surveillait. Vu l’état du lieu, j’ai trouvé que ce clin d’œil au film Warriors était approprié.

#8 Lettrages au riz gluant

En 2010, mon pote Aigor était en ville pendant quelques jours pour son taf. J’avais repéré un spot superbe le long de la voie aérienne et le matin même j’avais décidé de l’amener en repérage, un petit saut rapide avant d’aller travailler. Il a de suite kiffé : gros spot, bien visible, accessible avec la possibilité de faire gros. On s’est dit qu’on aller le taper le soir même. Une palissade nous protégeait de la rue, mais il y avait encore de l’activité dans le bâtiment derrière, donc à surveiller. On se retrouve après le taf et on part diner dans un petit restaurant le temps de réfléchir à des idées marrantes. On avait envie de faire un mur qui marque, quelque chose qui surprend. Aigor a sorti une idée originale : en Chine, on accueille souvent les gens en leur demandant s’ils ont mangé, du coup l’idée était de jouer là dessus. On voulait peindre deux hotdogs et de la mayonnaise. En voulant y apporter une touche plus asiatique, on a transformé un peu le concept de base : deux mains avec des baguettes géantes qui s’apprêtent à manger nos blases gluants. Équipés d’un gros pot de peinture et d’une petite échelle, on attaque. Pour cette pièce, on a commencé par placer les baguettes, puis j’ai fait les mains et Aigor s’est chargé du lettrage. Terminé vers 1h du mat’, ni vu ni connu, malgré le passage dans la rue. Une pure soirée. On en a fait plusieurs comme ça dans Shanghai. Généralement, ça ne reste pas longtemps, mais ça fait toujours bien plaisir à voir.

#9 Le long des voies de Nanjing

Nanjing est une ville au nord de Shanghai, qui fût à une époque la capitale de la Chine. Lorsque je suis passé de Guangzhou à Shanghai, j’ai trouvé deux cultures du graffiti très différentes. A Guangzhou, les graffeurs ont tous un throwup et le posent le plus possible, sans chercher à développer leur style. A Shanghai, au contraire, les graffeurs sont concentrés sur l’aspect artistique du graffiti en faisant de belle prods, mais ils laissent de côté la rue. Je trouve que ces deux aspects sont aussi importants. En 2014, j’ai rencontré à Nanjing des graffeurs locaux qui pensent comme moi. Des gars comme Joints, Smok, Chose, super motivés, autant dans la rue que sur murs, avec beaucoup de style et une bonne mentalité. C’est durant un de mes séjours sur place qu’on est parti peindre le long des voies, un pur spot assez tranquille en centre-ville. On y peint entre les allers et venues de trains chargés de marchandises ou de voyageurs qui ne savent pas trop ce qu’on fait là. Généralement, à chaque fois, on continue le soir dans le centre. C’est une ville qui vaut le détour si on veut visiter la Chine.

#10 Simple et basique

En 2010, des graffeurs belges étaient de passage à Shanghai. Je les ai emmenés dans un nouveau terrain. On se place tous sur un grand mur et tout le monde se lance dans des wildstyles compliqués. Après quelques heures de peinture, je finis ma pièce et je traine un peu dans le terrain. J’avais une idée qui me trottait dans la tête depuis quelques jours et j’avais envie de l’essayer : faire une pièce en esquisse sans contour, pour que l’on puisse voir la structure de la lettre tout en préservant le mouvement de la première esquisse. Je me lance sur un mur à côté et en moins de dix minutes, je peins ce petit bloc, dix fois plus puissant et intéressant que la première pièce avec des centaines d’effets et de couleurs.

#11 Throwups dans La Cité interdite

De la même manière qu’on sortait peindre quand Aigor venait me voir à Shanghai, on faisait la même chose quand je passais le voir à Pékin. Aigor à sacrement marqué le graffiti local en y ajoutant un aspect plus brut et vandale. Il a énormément peint la ville, à chaque fois avec un style assez lâché dans des endroits bien tendus. Cette photo a été prise en 2012 dans le centre de Pékin, juste au nord de La Cité interdite et de la place Tian’anmen. A l’époque, Aigor habitait dans les environs, et on sortait souvent faire des throwups le soir sur le chemin pour aller boire des coups. Finie l’époque des grosses pièces en rue, mais toujours motivé par des throwups un peu partout.

#12 Chronique d’une mort annoncée

J’ai beaucoup exploité cette façon de peindre, un mélange de remplissage, de contours et d’esquisse en mode comics. J’ai cherché à simplifier mes lettres au maximum puis à les étirer dans tous les sens possible. Pour chaque nouvelle pièce, j’essaye une nouvelle combinaison de couleurs et de disposition des lettres. J’ai petit à petit ajouté d’autres éléments : des déchirures ou plus tard un effet de flou pour créer des profondeurs. Cette pièce a été peinte dans le hall of fame de Shanghai avec Fluke sur ma droite. C’était le début de la fin annoncé de la peinture dans la rue. Plusieurs graffeurs locaux ont protesté contre la démolition de ce lieu dans les médias. Faut croire que ça a fonctionné, car le mur est encore là mais doit disparaitre d’ici quelques mois.

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